Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/733

Cette page n’a pas encore été corrigée
727
REVUE DES DEUX MONDES


pourries, creusa un petit réservoir, débarrassa un petit saut que l’eau faisait dans la glaise et l’épura avec du sable et des cailloux. Cet ouvrage l’occupa jusque vers le coucher du soleil. Il ramassa son pot et sa houlette, et, remontant sur les branches dont il avait éprouvé la solidité, il retrouva son chemin d’écureuil, grimpant et sautant d’arbre en arbre jusqu’à son chêne. Il rapportait une épaisse brassée de fougère et de mousse bien sèche dont il fit son lit dans le trou déjà nettoyé. Il entendit bien la chouette sa voisine qui s’inquiétait et grognait au-dessus de sa tête. — Ou elle délogera, pensa-t-il, ou elle s’y habituera. Le bon chêne ne lui appartient pas plus qu’à moi.

Habitué à vivre seul, Emmi ne s’ennuya pas. Être débarrassé de la compagnie des pourceaux fut même pour lui une source de bonheur pendant plusieurs jours. Il s’accoutuma à entendre hurler les loups. Il savait qu’ils restaient au cœur de la forêt et n’approchaient guère de la région où il se trouvait. Les troupeaux n’y venant plus, ils ne s’en approchaient plus du tout. Et puis Emmi apprit à connaître leurs habitudes. En pleine forêt, il n’en rencontrait jamais dans les journées claires. Ils n’avaient de hardiesse que dans les temps de brouillard, et encore cette hardiesse n’était-elle pas grande. Ils suivaient quelquefois Emmi à distance, mais il lui suffisait de se retourner et d’imiter le bruit d’un fusil qu’on arme en frappant son couteau contre le fer de sa sarclette pour les mettre en fuite. Quant aux sangliers, Emmi les entendait quelquefois, il ne les voyait jamais ; ce sont des animaux mystérieux qui n’attaquent jamais les premiers.

Quand il vit approcher l’époque de la cueillette des châtaignes, il fit sa provision qu’il cacha dans un autre arbre creux à peu de distance de son chêne ; mais les rats et les mulots les lui disputèrent si bien qu’il dut les enterrer dans le sable où elles se conservèrent jusqu’au printemps. D’ailleurs Emmi avait largement de quoi se nourrir. La lande étant devenue absolument déserte, il put s’aventurer la nuit jusqu’aux endroits cultivés et y déterrer des pommes de terre et des raves ; mais c’était voler et la chose lui répugnait. Il amassa quantité de favasses dans les jachères et fit des lacets pour prendre des alouettes en ramassant de ci et de là des crins laissés aux buissons par les chevaux au pâturage. Les pâtours savent tir^r parti de tout et ne laissent rien perdre. Emmi ramassa assez de flocons de laine sur les épines des clôtures pour se faire une espèce d’oreiller ; plus tard il se fabriqua une quenouille et un fuseau et apprit tout seul à filer. Il se fit des aiguilles à tricoter avec du fil de fer qu’il trouva à une barrière mal raccommodée, qu’on répara encore et qu’il dépouilla de nouveau pour fabriquer des collets à prendre les lapins. Il réussit donc à se faire des bas et à manger