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institutions nouvelles, le radicalisme se chargerait de les remettre immédiatement d’accord en entrant en scène, en opposant à cette république possible dont parle M. Léon Say la république chimérique et désastreuse de ses souvenirs et de ses rêves.

Le radicalisme, il faut en convenir, a le don de l’opportunité, et il a bien choisi son moment en allant l’autre jour, au « salon des familles » à Saint-Mandé, célébrer l’anniversaire de la naissance de la république de 1792. Il a cru sans doute qu’on oubliait trop vite dans notre malheureuse France, que le pays était trop prompt à s’apaiser et à reprendre confiance, que l’esprit de modération dont une partie de la gauche a fait preuve depuis quelques mois était d’un mauvais exemple, et il a tenu à rappeler une fois de plus qu’il existait, qu’il n’avait rien oublié ni rien appris. Le radicalisme n’est point arrivé encore à comprendre que le meilleur moyen de rendre la république impossible, c’est de la placer sous les auspices de ces souvenirs sanglans, de la confondre avec une époque de sinistre mémoire. Bien entendu, la fête du « salon des familles » de Saint-Mandé n’était qu’un prétexte offert à M. Louis Blanc pour renouer les saines traditions révolutionnaires, pour relever le vrai drapeau républicain, dont M. Gambetta n’est plus, à ce qu’il paraît, qu’un gardien infidèle. Il s’agissait moins de l’anniversaire du 21 septembre 1792 que d’une démonstration contre les lois constitutionnelles de 1875, contre les transactions qui leur ont donné naissance, contre les défections qui les ont préparées. M. Naquet, avec ses tournées en province, ne suffisait plus, l’ancien président des conférences socialistes du Luxembourg aux beaux jours de 1848 a tenu à pontifier à Saint-Mandé. Il veut tout simplement nous appliquer la constitution de 1793, c’est la nouveauté sortie de son imagination.

Eh quoi ! une république avec deux chambres, avec un président, presqu’un roi, — une république pondérée, modérée, constitutionnelle, libérale, régulière, est-ce possible ? M. Louis Blanc s’est réveillé de son sommeil d’Épiménide l’esprit encore plein de ses vieilles hallucinations révolutionnaires, et du haut de son trépied de Saint-Mandé, dans ses déclamations sibyllines, il s’est mis à dérouler couramment toutes ces images de la grande assemblée unique, de la convention, du comité de salut public, des levées en masse. Le discours de Saint-Mandé est arriéré de trente ans au moins, et il ne profitera pas plus à l’histoire qu’à la politique. Les apologues frondeurs de Franklin au sujet des deux chambres peuvent être fort spirituels et amusans dans un banquet : malheureusement ou heureusement pour les États-Unis, ils ont pour commentaire l’existence de cette république américaine elle-même qui a vécu et prospéré avec deux chambres aussi bien qu’avec un président. M. Louis Blanc a fait une découverte, c’est que le 18 brumaire ne se serait accompli que parce qu’il y avait deux chambres. « Boissy d’Anglas avait dit : Le conseil des cinq-cents sera l’imagination de la république, le