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pour frapper au cœur de la Navarre le grand coup décisif. Ainsi sera offerte à don Carlos l’occasion, après laquelle il soupire, de détruire l’ennemi qu’il a tant de fois vaincu et de devenir empereur en un tour de main. Le jeune roi emmènera probablement comme chef de son conseil militaire le général Jovellar, et il est à présumer qu’à ce moment M. Canovas reprendra la direction du pouvoir, dont il est demeuré le conseiller. L’Espagne est impatiente de revoir à la tête des affaires l’homme qui les a si bien conduites, elle a foi dans le succès définitif de sa politique conciliante, généreuse et libérale ; mais il n’aura pas tenu aux dogmatiques de la Péninsule de replonger leur pays dans le chaos d’où il a tant de peine à sortir.

Nous voilà bien loin de Dompaire, où s’est vérifiée une fois de plus la justesse du proverbe qui veut que tout soit bien qui finit bien. Au toast d’un conseiller-général, M. le préfet des Vosges a répondu par un discours qui a été chaudement applaudi et qui méritait de l’être. — On nous répète souvent, a-t-il dit, que cette constitution imposée à l’assemblée nationale par la dictature des circonstances était somme toute la meilleure qu’il fût alors possible de donner à la France. Parler ainsi, c’est dire trop ou pas assez ; je ne sais pas si la constitution du 25 février est la meilleure possible, je sais qu’elle est bonne, et cela me suffit. Elle est bonne parce qu’elle consacre toutes les libertés parlementaires, sans porter atteinte aux principes conservateurs… Ayons confiance dans cette constitution du 25 février, qui a eu la sagesse de ne pas sortir des limites humaines et qui a pourvu au présent sans enchaîner l’avenir. Ayons confiance dans le glorieux soldat qui a accepté la tâche de veiller sur elle, et dont la politique, à la fois ferme et conciliante, attire chaque jour de nouvelles et précieuses adhésions au gouvernement républicain. » Voilà d’excellentes paroles, et nous regrettons que ce ne soit pas M. Buffet qui les ait prononcées. Que l’honorable vice-président du conseil aurait un beau rôle à remplir, s’il renonçait définitivement à faire descendre les légitimistes de leur Aventin blanc et à faire revenir les bonapartistes d’Arenenberg pour reconstituer une majorité trompeuse, à jamais disloquée, s’il consentait à regarder de quel côté souffle le vent, s’il encourageait, au lieu de l’ignorer ou de le traverser, le travail qui se fait dans les esprits, et qui, favorisé par de hautes influences, tend à modifier au profit de l’établissement républicain la composition des groupes politiques, s’il se relâchait un peu de son intraitable austérité, si on pouvait le soupçonner d’avoir par instans d’heureuses et bienfaisantes faiblesses, si enfin il se défendait avec une rigueur moins farouche contre la popularité qui, sur un signe qu’il lui avait fait, est venue le chercher, et dont il a repoussé les caresses avec un froid mépris ! Il y a pour un homme d’état une gloire plus enviable que celle d’être célébré par ses contemporains et par la postérité comme le Robert d’Arbrissel de la politique.


G. VALBERT.