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en parlant des pigeons qu’il produirait n’importe quel genre de plumes au bout de trois ans, mais qu’il faudrait six ans pour obtenir une tête et un bec. » M. Bagehot remarque aussi que les coutumes, le langage de la banque et du négoce, ont beaucoup déteint sur la politique moderne. « A la bourse, on interroge tout, les hommes, les choses, les institutions, on leur dit familièrement : Eh bien ! qu’avez-vous fait depuis notre dernière entrevue ? » En Angleterre, comme en Italie, comme en Prusse, les hommes d’état ne s’occupent plus guère de métaphysique, ils se considèrent essentiellement comme des hommes d’affaires, et, pour réussir dans leurs entreprises, ils sont prêts à entrer en conversation avec tout le monde, même avec des hommes dont les opinions, le caractère et la figure leur reviennent peu. Cette façon d’entendre l’art de gouverner est utile partout, elle le serait particulièrement dans un pays comme la France, où l’ontologie politique est tombée dans un profond discrédit, où désormais on se méfie beaucoup des principes, surtout des principes qui ont de la morgue, où la grande, l’unique question est d’avoir un gouvernement qui, quelle que soit son étiquette ou sa formule, garantisse aux gouvernés quinze ans de paix, d’ordre et de liberté. Pour les peuples qui ont subi la terrible épreuve des révolutions, il n’y a pas d’autres lois possibles que celles qui sont fondées sur des principes de transaction ; mais que deviennent le bénéfice et l’avantage attachés à des lois de transaction, si le gouvernement chargé de les appliquer et de les protéger contre tous les mauvais vouloirs est animé lui-même d’un esprit d’intransigeance ?

Nous savons bien que lorsque M. Buffet se déclare résolu à n’avoir aucun commerce ni avec les révolutionnaires ni avec les politiques qui, sans être révolutionnaires, fraieraient la voie à une nouvelle révolution, il n’entend pas exclure à jamais les libéraux de la vie politique, ni même de son alliance. M. Buffet ne demanderait pas mieux que de voir venir à lui certains bergers, leurs chiens et leurs moutons ; mais, avant de les recevoir parmi les enfans de la promesse, il exige qu’ils rompent ouvertement avec leur passé, qu’ils renoncent à leurs amitiés compromettantes, qu’ils s’engagent à ne plus frayer avec les bergers et les chiens des autres fractions de la gauche. Nous ne savons si M. Buffet a jamais fait de sérieux efforts pour détacher le centre gauche de ses alliés naturels ; il aurait eu besoin, pour y réussir, de beaucoup d’adresse, d’un art infini, inconciliable avec les hauteurs d’un esprit dogmatique. Il est probable que le centre gauche lui aurait toujours répondu : — Nous admettons que, pour avoir droit de cité dans votre république conservatrice, on soit tenu d’être résolument conservateur ; mais admettez à votre tour que dans cette république il sera permis d’être républicain, à la seule condition, bien entendu, de passer au préalable un examen satisfaisant de résignation.

M. Buffet a protesté solennellement à Dompaire que les lois