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observations serviraient à fixer la parallaxe annuelle de la Polaire, mais il dut bientôt se convaincre que les différences d’environ 40 secondes qu’il avait trouvées entre les distances zénithales des mois de juin et de décembre ne pouvaient s’expliquer par le simple changement de position de la terre ; il eût fallu pour cela que ces différences eussent été observées, non pas de juin à décembre, mais de mars à septembre. Enfin Bradley, à l’aide d’une série d’observations qu’il avait entreprises à Kew, près de Londres, avec Molyneux, réussit à déterminer la loi de ces inégalités périodiques et à en donner l’explication : elles sont dues principalement au phénomène que l’on appelle l’aberration de la lumière, et qui dépend non de la distance, mais de la direction des astres. Plus tard Bradley reconnut encore d’autres variations qui ont pour cause un balancement de l’axe terrestre, déjà soupçonné par Newton, qui a reçu le nom de nutation. Les inégalités dues à la nutation sont moins sensibles et ont une période beaucoup plus longue que celle de l’aberration.

Le phénomène de l’aberration, tel que le conçoit Bradley, est tout à fait analogue à cette illusion d’optique qui, à travers les vitres d’un wagon de chemin de fer en marche, nous fait paraître obliques les filets d’eau perpendiculaires formés par les gouttes de pluie. Le mouvement du train, qui se déplace pendant le temps que les gouttes d’eau mettent à atteindre le sol, nous trompe sur la direction réelle des filets liquides, parce que notre point de vue change sans cesse. C’est ainsi que la vitesse de translation de la terre, en se combinant avec la vitesse des rayons lumineux, a pour effet de changer légèrement la direction apparente où nous voyons les astres, car pendant le temps que les rayons mettent à parcourir la longueur du tube de la lunette, la terre se déplace d’une quantité appréciable. La vitesse de la terre dans son orbite n’est à la vérité qu’un dix-millième de la vitesse de la lumière[1], mais elle suffit pour imprimer aux rayons une déviation qui peut aller à 20 secondes d’arc, et, comme cette déviation se manifeste en sens contraire à deux époques différentes de l’année, il en résulte des différences totales de 40 secondes.

Les déplacemens considérables que l’aberration de la lumière fait subir à tous les astres dans le cours d’une année en leur faisant décrire une sorte d’ellipse autour de leur position moyenne, ces déplacemens tout à fait irrécusables sont une preuve manifeste du mouvement de translation de la terre autour du soleil. Bradley avait donc fourni la démonstration à laquelle Copernic avait dû

  1. La terre avance dans son orbite avec une vitesse moyenne de 30 kilomètres par seconde, tandis que la vitesse de la lumière est de 300,000 kilomètres en nombres ronds.