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des immunités qui se rattachaient aux faits de conscience, car les confesseurs du roi pouvaient toujours l’absoudre, lui, sa femme, ses frères, ses enfans, des plus grands péchés et même des plus grands crimes sans recourir à l’autorité pontificale. Le roi était libre de choisir son confesseur, de le remplacer par un autre quand il le trouvait trop sévère, comme le fit Louis XIV pour le père Annat, qui voulait lui faire acheter l’absolution par le renvoi de Mme de Montespan, et grâce à ce privilège il pouvait se donner le plaisir de pécher tout à son aise. Ce confesseur était en outre autorisé à le relever de ses vœux et de ses sermens, ce qui lui permettait de violer en toute sécurité de conscience, quand il le jugeait convenable, les libertés publiques qu’il avait juré de respecter, de lever des impôts de sa propre autorité, quand il avait promis de ne le faire qu’avec le consentement des états-généraux, et de changer arbitrairement la valeur des monnaies malgré les engagemens les plus formels. Il se trouvait ainsi placé de par le saint-siège au-dessus de tous les devoirs et de tous les droits[1].

Les rois ne restaient pas en arrière. Lors même qu’ils résistaient aux papes, ils les assuraient de leur dévoûment filial ; ils leur offraient leur épée contre les infidèles, promettaient de les secourir contre les ligues italiennes, évoquaient le souvenir des donations de Pépin, de Charlemagne et de toutes celles qui les avaient suivies[2], et ne manquaient jamais de rappeler qu’au milieu des épreuves sans nombre qu’avaient traversées les successeurs de saint Pierre, ils avaient toujours trouvé dans le royaume de France un inviolable asile[3].

Le refus d’enregistrement des bulles constituait un acte de révolte ouverte et pouvait amener de graves complications ; mais le formalisme respectueux dont il était entouré, surtout dans les derniers siècles, donnait une apparente satisfaction aux susceptibilités de la cour de Rome, tout en dégageant la responsabilité des fils aînés de l’église. Le pape envoyait les bulles au nonce ; celui-ci les remettait au roi, qui ne les lisait pas et les adressait aux

  1. Voyez, dans les documens relatifs à l’histoire de France, le volume intitulé Privilèges accordés à la couronne de France par le saint-siège, Paris, Imprimerie impériale, 1852, in-4o. Les rois gagnaient une année d’indulgence lorsqu’ils assistaient à la dédicace d’une église ou à un office célébré par un évêque. Des indulgences de soixante jours étaient même accordées à tous ceux qui priaient pour eux, ce qui constituait en leur faveur un véritable monopole d’intercessions.
  2. Sur les donations des rois au saint-siège, Bibliothèque nationale, mss. Colbert, vol. 155, fol. 139 et suiv.
  3. Voyez entre autres Instructions à maître Guillaume Compaing, pour besognier vers notre saint-père le pape, 4 mai 1471, Bibliothèque nationale, mss., collection Dupuy, vol. 760, fol. 13 et suiv.