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la doctrine du droit divin et de la légitimité, lui avait ordonné de la prendre, sous prétexte qu’il était plus digne de la porter. L’usurpation des Carlovingiens se trouva ainsi sanctifiée par un pape, comme celle des Capétiens le fut deux siècles plus tard par un archevêque de Reims. Charlemagne ratifia la donation de Pépin en l’agrandissant par des donations nouvelles. En 779, il acheva la destruction de la monarchie lombarde, et quand le pape Léon III eut été forcé de quitter le Vatican par suite d’une conspiration, il l’y fit rentrer l’année suivante sous la protection de ses troupes. Cette expédition de Rome fut récompensée par la couronne impériale, que Léon lui décerna dans la basilique de Saint-Pierre.

L’entente des intérêts et des ambitions scella l’alliance du sacerdoce et de l’empire. Charlemagne prit le titre de défenseur de l’église, devotus ecclesiœ defensor, il promulgua des lois sévères contre les sacrilèges et inaugura les guerres de religion par la dévastation de la Saxe. Ses conquêtes donnèrent de nouveaux sujets au saint-siège, et le saint-siège à son tour ratifia ses conquêtes parce qu’elles avaient pour résultat la propagation de la foi et le renversement des idoles. Les deux pouvoirs marchaient à la domination du monde, mais le glorieux empereur des Francs ne voulait pas la partager ; il n’accordait aux papes son puissant appui qu’à la condition de rester leur maître, et quand le peuple et le clergé de Rome les avaient nommés, il ne leur permettait de régner qu’après avoir confirmé leur élection et reçu le serment de fidélité[1].

La ruine de la dynastie carlovingienne affranchit les papes de la tutelle du pouvoir civil en livrant l’Europe au chaos féodal, et, de même que Charlemagne avait voulu remplir par la reconstitution de l’empire d’Occident le vide immense que la chute de la puissance romaine avait laissé dans le monde, de même Grégoire VII voulut reprendre en sous-œuvre la pensée de Charlemagne en faisant de la Rome pontificale le centre d’un empire théocratique qui aurait tenu sous sa suzeraineté les princes et les rois. Ce grand dessein était dans une certaine mesure justifié par l’anarchie de la société civile, et la papauté pouvait se croire chargée du salut du genre humain « parce qu’il était de son soin paternel de soulager tous les opprimés et de la grandeur de son tribunal de faire justice à toute la terre. » Grégoire VII voyait l’église d’Allemagne tyrannisée par les empereurs, ses dignités avilies, ses biens mis au pillage. Pour la soustraire à leur domination, il engagea contre eux une lutte opiniâtre qu’il soutint jusqu’à sa mort, et il consigna ses

  1. Voyez l’acte par lequel le peuple et le clergé de Rome s’engagent à ne pas élire et consacrer un pape sans lui avoir fait prêter serment de fidélité à l’empereur devant les missi dominici. — Isambert, Anciennes Lois, t. Ier, p. 67.