Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hegel, reprise par Michelet et de Lasaulx, ferait voyager la liberté, et avec elle la civilisation, d’Orient en Occident ? Quel rapport entre la marche d’une planète que gouverne une nécessité mécanique et le progrès de la liberté ? Est-ce donc que la liberté est elle-même soumise à la fatalité ? De plus, comment expliquerez-vous que la civilisation ait illuminé l’Égypte avant d’éclairer la Judée ? L’Égypte serait-elle par hasard à l’est de la Palestine ?

Rien de plus ingénieux encore que le parallélisme établi par Victor Cousin entre la conformation géographique de l’Asie, de la Grèce, de l’Europe occidentale, et les caractères des trois grandes civilisations dont ces contrées furent le théâtre. Par malheur, il se trouve que l’Amérique est de trop : pour que le continent américain eût son emploi, il faudrait qu’une quatrième période de l’histoire universelle fût possible ; or, pour Cousin, les trois idées de l’infini, du fini et de leur rapport épuisent, comme on sait, le cycle fatal dans lequel se meut l’humanité.

Moins contestable sans contredit est l’action du climat, du régime, des productions du sol sur le développement humain ; mais il faut distinguer. S’agit-il d’une action directe et immédiate ? Elle est peu connue et probablement assez faible. En tout cas, comme elle est constante et nécessaire, l’homme la subit passivement, et, si elle était décisive, tout progrès serait éternellement impossible. S’agit-il au contraire d’une action indirecte ? On ne peut nier que les conditions du milieu ne sollicitent et ne modifient de mille manières les besoins, et par eux n’exercent une influence considérable sur l’état économique, politique, social, d’une nation. Déterminer la nature, le nombre, l’intensité de ces causes, c’est affaire aux sciences particulières, météorologie, chimie, physiologie, ethnologie, économie politique, etc. Montesquieu a ouvert la voie, Buckle a tenté d’aller plus loin, et l’on n’en est encore qu’aux premiers pas. Mais cette action indirecte et médiate, si puissante, si variée soit-elle, suppose toujours, qu’on ne l’oublie pas, la réaction de l’activité intellectuelle et morale de l’homme. Or cette réaction peut être plus ou moins énergique, selon que l’homme le veut plus ou moins : par là la liberté rentre dans ses droits, et le progrès est possible. On a souvent remarqué, et avec raison, que là où la nature extérieure est exubérante, gigantesque, terrible, elle affaiblit l’homme, le paralyse, le désarme, et, comme conséquences nécessaires, produit une distribution fort inégale de la richesse, un développement excessif de l’imagination et de la superstition, autant de sources de graves maladies sociales. Pourtant ce n’est là qu’un côté de la vérité, et toujours il faut mettre en regard cette vérité corrélative que l’influence des causes externes sur l’homme n’est jamais absolue,