Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/575

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

péril, de part et d’autre croyance sincère et, somme toute, rassurante au progrès. Les utopies passent, le mouvement qu’elles impriment à l’esprit d’un siècle persister se modère lui-même en se composant d’impulsions et de tendances divergentes, et reste ainsi salutaire, parce qu’il devient plus régulier.

Pourtant cette foi instinctive et vigoureuse au progrès en est encore à chercher ses titres aux yeux de la science. — Y a-t-il une loi du progrès ? Cela est possible ; mais, sans être réactionnaire, on peut affirmer qu’elle ne s’est pas encore produite. Quelles sont les conditions du progrès ? Nombreuses, variées, complexes à coup sûr, et les eût-on toutes déterminées, il resterait encore à établir l’importance relative et le rôle précis de chacune d’elles. Enfin quel est le terme du développement humain ? Est-ce le bonheur ou quelque autre chose ? — Autant de questions qui aujourd’hui ne peuvent laisser indifférente aucune âme soucieuse de ses véritables intérêts. Nous n’avons la prétention ni de les résoudre, ni même de les traiter ; elles ont été déjà posées ici même, dans des pages éloquentes que l’on n’a point oubliées[1]. Notre but est plus modeste ; nous voudrions seulement recueillir dans de récens et importans ouvrages, particulièrement dans celui de M. Robert Flint, quelques vues générales propres à éclairer l’histoire et la théorie scientifique du progrès.


I

S’il est vrai que la faculté du progrès soit un des caractères essentiels et distinctifs de notre espèce, l’homme dut en avoir une vague conscience dès le jour où par la réflexion il prit possession de soi. Aussi dès l’aurore des temps historiques voyons-nous, à côté et à l’encontre de la croyance universellement répandue d’une déchéance, poindre l’idée de l’évolution humaine vers le mieux. C’est en vain pourtant qu’on la chercherait dans la Chine ou dans l’Inde. La Chine est plus que tout autre le pays de l’immobilité, et d’ailleurs l’esprit chinois est trop peu généralisateur, trop incapable de toute vue compréhensive pour s’élever à la notion de progrès. Quant à l’Inde, abîmée dans la pensée des misères et de la fragilité de cette vie, toute pénétrée de panthéisme et de fatalisme, pouvait-elle ouvrir son cœur à l’espérance du progrès social ? mais déjà derrière la lutte incessante de la lumière et des ténèbres, d’Ormuz et

  1. Voyez l’étude de M. E. Caro sur le Progrès social dans la Revue du 15 octobre et du 1er novembre 1873.