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les inondations de la garonne.

qui lui en soutirent une partie pour alimenter la sève et fournir à l’évaporation des feuilles. Les deux composantes de toute inondation, le volume d’eau et sa vitesse, se trouvent ainsi, sinon entièrement supprimées, du moins considérablement atténuées. En se plaçant à d’autres points de vue, on peut, il est vrai, faire des objections à cette manière de voir, et il semblerait même résulter de certaines expériences dues à des hommes compétens que les forêts favorisent plus qu’elles n’empêchent les débordemens, car les arbres sont de grands réservoirs d’humidité et paraissent dans certains cas agir comme condensateurs par rapport aux nuages. Nous croyons toutefois que les inconvéniens qu’on signale se rapportent à la fréquence plutôt qu’à l’intensité des pluies, et que celles-ci sont toujours notablement atténuées dans leurs effets surtout, quand elles tombent sur des montagnes aux pentes abruptes.

La difficulté de reboiser les Pyrénées ne vient donc pas de ce côté, elle tient à des causes d’un ordre tout différent. La question du reboisement est en effet intimement liée à l’existence même de la population pastorale répandue sur l’immense chaîne. C’est elle qui a détruit les forêts qui couvraient jadis toutes ces montagnes pour augmenter le pacage de ses troupeaux, c’est elle qui s’oppose toujours au reboisement d’une manière sourde et latente devant laquelle l’administration est complètement désarmée. Ce que je viens de dire s’applique surtout aux populations qui habitent la zone supérieure des Pyrénées, celle qui touche à la région des neiges et des glaciers. La longueur ainsi que la rigueur de l’hiver rendant la culture des céréales peu productive, quelquefois impraticable dans ces hautes gorges, l’élève du bétail est la seule industrie possible ; dès lors l’arbre doit succomber pour faire place à la plante fourragère. La forêt, une fois disparue, ne peut plus reparaître devant les exigences de la vie pastorale, car les troupeaux, broutant les jeunes bourgeons à mesure qu’ils repoussent, font dépérir la plante avant qu’elle n’ait eu le temps de prendre racine. La chèvre étant l’animal destructeur par excellence, l’administration s’est maintes fois occupée d’arrêter ses ravages en proscrivant ou du moins en réduisant à d’étroites limites le nombre que chaque localité pourrait élever. Peine perdue ! le pâtre pyrénéen a su avoir raison des arrêts préfectoraux. S’il est en désaccord avec l’administration supérieure, il a pour lui l’approbation tacite et la connivence de l’autorité municipale, dont les intérêts sont les mêmes que les siens. Pour qu’un candidat soit porté sur la liste du conseil communal, il n’est pas besoin qu’il fasse profession de foi politique ; son programme se réduit à un seul article : la résistance aux décrets qui ont pour but de restreindre le droit de libre parcours.