Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/536

Cette page a été validée par deux contributeurs.
530
revue des deux mondes.

jusqu’à nous, commençaient à reparaître régulièrement. Chaque courrier nous apportait la nouvelle de nouveaux désastres. Nous savions déjà que le fléau avait limité ses ravages au sud-ouest, mais nous ignorions encore si toute cette région était atteinte. Après l’Ariége, c’était Toulouse, puis venait Castelsarrasin, après Castelsarrasin Moissac, après Moissac Agen. Le fleuve aurait-il porté la désolation jusque dans Bordeaux ? Les basses plaines du Médoc auraient-elles également été submergées ? Nous penchions tous pour l’affirmative en voyant la hauteur atteinte par les eaux à Agen. Je dirai tout à l’heure comment la Gironde fut préservée. Cependant quelques lueurs d’espoir venaient se mêler à tant d’angoisses. Nous venions d’apprendre que la France s’était émue à la nouvelle de ces grandes calamités, que l’assemblée nationale avait voté un premier secours de 100,000 francs, suivi bientôt d’un autre de 2 millions, que des souscriptions s’organisaient sur toute la surface du territoire, que Mme  la maréchale de Mac-Mahon était à la tête du comité central de secours, que le président de la république, suivi du ministre de l’intérieur et du ministre de la guerre, venait d’arriver à Toulouse, et qu’il se proposait de parcourir tous les départemens inondés. Le ministre de la guerre avait mis le corps des pontonniers ainsi que les sapeurs du génie à la disposition des ingénieurs et des compagnies de chemins de fer, afin de remplacer au plus tôt les ponts emportés. C’est ici le moment de jeter un coup d’œil en arrière pour suivre les phases de l’inondation, retracer quelques-unes des scènes de ce lugubre drame et mesurer l’étendue des désastres.

II.

La tempête qui venait de s’abattre sur les Pyrénées avait jeté quelques éclaboussures aux deux extrémités de la chaîne et porté son principal effort sur les massifs montueux du centre. La pluie était tombée le 22 à Perpignan, mais sans présenter un caractère trop inquiétant. Le seul affluent de la Méditerranée qui ait appelé l’attention par la crue extraordinaire de ses eaux et par les conséquences qui en ont été la suite est l’Aude. On s’explique ce fait, si on se rappelle que cette rivière prend sa naissance dans les montagnes des Pyrénées-Orientales qui touchent à l’Ariége. J’ai visité ses sources pendant l’été de 1857, comme je me trouvais à Carcanières, petit site thermal de la Haute-Ariége, qui, par l’abondance et la variété de ses eaux sulfureuses, par le degré de température, serait la première station balnéaire des Pyrénées, si Ax, Luchon et Cauterets n’existaient pas. Une de ces sources, la Régine, dont le nom dit assez l’importance et qui marque près de 70 degrés au thermomètre, pourrait alimenter à elle seule un