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à exclure les étrangers et à vouloir tout faire par soi-même. Cette tendance surannée n’est jamais bonne en aucun pays ; l’Italie, qui en avait fait une maxime, la paya cher à Novare. Nos premiers chemins de fer ont été faits par des Anglais ; nous-mêmes en avons construit plus tard beaucoup d’autres en Italie, en Espagne, en Russie ; nous avons coupé l’isthme de Suez et fait un travail que l’Égypte n’eût jamais pu entreprendre. La Grèce, plus que toute autre nation peut-être, a besoin du concours des étrangers, qui seuls peuvent apporter chez elle les deux élémens de l’industrie, les capitaux et l’expérience. Un premier ministre du roi George, à propos d’une école de sciences appliquées qu’il s’agissait de créer, disait récemment que la France n’avait plus rien à apprendre à la, Grèce. C’était l’expression excessive de la tendance dont je parle, et, comme il était au pouvoir lorsque l’affaire du Laurium reçut sa malheureuse solution, il a pu voir depuis lors que la Grèce a encore quelque chose à apprendre, même de nous.

Il y a d’ailleurs telles entreprises que la Grèce est absolument hors d’état d’exécuter. J’en citerai deux dont il est précisément question depuis quelque temps, le dessèchement du Copaïs et le canal de Corinthe. Le premier exige le concours non-seulement de capitaux importans, mais d’hommes sachant percer économiquement des tunnels, creuser des canaux, distribuer des irrigations, installer et diriger des cultures intensives et créer tout à côté des industries agricoles. De tels hommes se rencontrent-ils dans un pays où aucun travail de cette nature n’a été fait, et qui en est encore au système des jachères ? Cependant rien n’est plus désirable que le dessèchement du Copaïs, qui doit enrichir la Grèce de 24,000 hectares de terre incomparable. Que les Grecs y consacrent des capitaux, mais qu’ils forment, s’ils veulent réussir, une société mixte où des étrangers savans et expérimentés soient admis. N’est-ce pas toujours à leur pays que reviendra le meilleur profit ? Quant au canal de Corinthe, projeté tant de fois et commencé vainement sous Néron, il exige de plus savans ingénieurs et des capitaux plus désintéressés. Il abrégera de douze heures environ, représentant la longueur nord-sud du Péloponèse, le trajet de tous les navires à vapeur doublant les caps et de vingt-quatre heures le trajet de l’Adriatique à Constantinople. La Grèce en tirera quelque profit pour son cabotage ; mais le plus grand bénéfice sera pour l’Autriche, l’Italie, la France, et même la Russie, la Turquie et l’Angleterre. La Grèce n’est pas plus obligée à l’exécution de ce canal que l’Égypte ne l’était à faire celui de Suez ; pourtant elle a intérêt non-seulement à le permettre, mais encore à le provoquer, puisqu’elle augmente par là dans une proportion assez grande le mouvement de ses ports.