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genre humain, qui, n’est pas la moins irritable. On lui répondit, et quelques-unes de ces réponses furent vives, emportées et blessantes ; malheur à qui met la guêpe en colère, sa piqûre est dangereuse. Articles de journaux, brochures, libelles, volumes in-douze et in-octavo, Proudhon rangea tout par ordre de date dans un dossier affecté à la cause. Préparant de longue main sa riposte, il prenait des notes, et en remplissait des carnets et de petits bouts de papier, qu’il se promettait de coudre les uns aux autres avec la plus pointue de ses aiguilles. Il ne s’occupa que sur le tard de rédiger définitivement sa réponse aux réponses ; quand la mort le prit, il avait à peine exécuté le tiers de cette ingrate besogne. Ce tronçon de livre méritait-il de voir le jour ? C’est au lecteur d’en juger, et nous craignons que son verdict ne soit pas favorable.

Proudhon était, comme on sait, le partisan déclaré du mariage monogame et indissoluble, l’ennemi juré de l’émancipation des femmes et de l’amour libre, lequel est assurément la plus chimérique des libertés. Il avait défendu sa thèse par les procédés qui lui étaient ordinaires, c’est-à-dire en mêlant aux raisons solides des argumens captieux et des sophismes. Il avait la sainte horreur du lieu-commun, il l’évitait comme l’hermine évite les éclaboussures, et quand il ne pouvait lui échapper, il le sauvait par d’ingénieux déguisemens. Les banalités abondent dans son dernier livre, et elles ne sont point déguisées. Est-ce bien Proudhon qui nous enseigne gravement que la femme n’a pas été mise au monde pour y être juge, apothicaire, préfet, gendarme ou dragon, qu’elle est inférieure à l’homme en force musculaire, que, lorsqu’un petit garçon lutte avec une petite fille, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, c’est le petit garçon qui terrasse la petite fille ? — « C’est une expérience, nous dit-il, que chacun peut faire par soi-même, que j’ai faite cent fois quand j’étais berger. » Il nous apprend aussi que Sophie fait une drôle de figure en disputant à Emile le prix de la course, qu’elle a fort mauvaise grâce en pantalon, qu’une moustache et des favoris n’ajoutent rien à ses agrémens, qu’il lui convient d’être timide, qu’elle a reçu du ciel le don des larmes, « qui la rend touchante comme la biche, » et que l’homme fait preuve d’un goût dépravé quand il va chercher l’idole de son cœur parmi les vivandières et les viragos. Abandonnés à notre judiciaire naturelle, nous aurions peut-être deviné tout cela.

Aux lieux-communs se joignent les contradictions. L’œuvre était si peu mûre que l’auteur établit dans les premières pages des principes qu’il rétracte dans les dernières, la fin de son livre en détruit le commencement. Il se pose au début comme l’ami zélé, le chaud défenseur, l’admirateur sincère et convaincu de la vraie femme, de celle qui.est épouse et mère, de celle qui n’est ni vivandière, ni dragon, « ni une chevalière de l’amour libre, ni une de ces impures que le péché a rendues folles. » Allons jusqu’au bout, à la page 242, nous trouvons cette