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comme le lui dit un jour Napoléon III. Le général La Marmora, qui en sait long, ajoute que « l’ours n’était ni dans les Alpes ni dans les Carpathes, il se portait fort bien (stava benone) et n’avait envie ni de mourir ni d’aller en cage[1]. » De pareilles suggestions ne furent pas sans doute de nature à trop effaroucher le parti de l’action dans les conseils de l’empire, elles trouvèrent même auprès de lui un accueil empressé ; mais dédaigneusement écartées jusque-là par M. Drouyn de Lhuys, traitées de « projets de brigandage » par le chef de l’état, elles durent attendre cette heure d’angoisses patriotiques que marque l’arrivée de M. Benedetti pour être enfin prises en considération sérieuse.

Certes l’ambassadeur de France près la cour de Berlin eut dans cette année 1866 une situation bien difficile et pénible, nous allions presque dire pathétique. Il avait travaillé avec ardeur, avec passion à amener ce connubio de l’Italie et de la Prusse qui lui semblait être une bonne fortune immense pour la politique impériale, une victoire éclatante remportée sur l’ancien ordre des choses au profit du « droit nouveau » et des idées napoléoniennes. Dans la crainte, très fondée d’ailleurs, de voir cette œuvre avorter et la Prusse reculer, si on lui parlait de compensations éventuelles et d’engagemens préventifs, il n’avait cessé de dissuader son gouvernement de toute tentative de ce genre et d’insister sur le patriotisme farouche, intraitable et ombrageux de la maison Hohenzollern, au point même d’être soupçonné parfois à l’hôtel du quai d’Orsay de forcer quelque peu les couleurs et de faire certain diable plus noir et plus allemand qu’il ne l’était. L’œuvre avait réussi enfin, réussi au de la de toute attente, réussi à faire peur, à convaincre du coup M. Benedetti « qu’un remaniement territorial était désormais nécessaire à la sécurité de la France. » Ce remaniement, il s’était un moment flatté de l’obtenir sur le Rhin ; « il n’avait point garanti le succès, mais il s’était permis de l’espérer. » Éconduit avec fermeté sinon avec hauteur, « et ayant pris la mesure de l’ingratitude prussienne, » il s’était néanmoins remis à espérer aussitôt que le ministre de Guillaume Ier lui eut insinué « qu’on pourrait prendre d’autres arrangemens propres à satisfaire les intérêts respectifs des deux pays, » et il s’était cramponné à l’expédient qu’on faisait miroiter ainsi à ses yeux, avec d’autant plus d’énergie fiévreuse qu’il y voyait un nouveau triomphe pour le droit moderne et les principes chers à son parti. Jaloux de réparer les conséquences d’une politique que pour sa part il avait contribué plus que tout

  1. La Marmora, Un po più di luce, p. 117. — Rapport du général Govone, 3 juin 1866. Ibidem, p. 275.