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avait traduit en un langage magnifique les aspirations secrètes de la masse du petit clergé, chez lequel les traditions libérales de 1830 étaient demeurées vivantes. On savait qu’il allait aborder des questions ardues et semées d’écueils ; une curiosité passionnée et anxieuse se peignait sur les visages. L’orateur irait-il se briser contre ces écueils redoutables, ou réussirait-il à y échapper ? En tout cas, il ne craignit point de les affronter. Comme il l’avait fait la veille, il alla droit au cœur de la question, en déclarant qu’il demandait la liberté entière, absolue, non-seulement pour les catholiques, mais encore pour tous les cultes et toutes les opinions, non-seulement pour la vérité, mais encore pour l’erreur. Que la liberté morale me donne, dit-il, la faculté de choisir entre le bien et le mal, et non le droit de choisir le mal, c’est une vérité de foi et de raison ; mais, pour éclairer et déterminer mon choix, je ne veux écouter que l’église et non l’état. Je ne veux pas être contraint par l’état de croire ce qu’il croit vrai, parce que l’état n’est pas juge de la vérité, parce que l’état, le pouvoir civil et laïque, est souverainement incompétent en matière religieuse. Sa compétence se borne à ce qui importe à la paix publique, aux mœurs publiques. Elle ne va pas au-delà. L’état n’a donc pas à intervenir dans les questions qui intéressent la liberté de conscience ; il n’a d’autre mission que d’en garantir les manifestations. Après avoir cité cette noble maxime de M. Guizot : « le principe de la liberté religieuse consiste uniquement à reconnaître le droit de la conscience humaine à n’être pas gouvernée dans ses rapports avec Dieu par des décrets et des châtimens humains, » il y ajoutait cette glose : « la force publique doit me protéger contre celui qui m’empêcherait d’aller à l’église, mais la force publique qui voudrait me mener à l’église malgré moi serait, ajuste titre, aussi ridicule qu’insupportable. » Ainsi donc plus de recours à l’état pour protéger la vérité contre l’erreur ; plus d’intervention du bras séculier, plus de loi de protection en matière de cultes, encore une fois la liberté pour tous, rien que la liberté !


« Peut-on aujourd’hui demander la liberté pour la vérité, c’est-à-dire pour soi (car chacun, s’il est de bonne foi, se croit dans le vrai) et la refuser à l’erreur, c’est-à-dire à ceux qui ne pensent pas comme nous ? Je réponds nettement : non ! Ici, je le sens bien, incedo per ignes. Aussi je me hâte d’ajouter encore une fois que je n’ai d’autre prétention que celle d’exprimer une opinion individuelle : je m’incline devant tous les textes, tous les canons qu’on voudra me citer. Je n’en contesterai ni n’en discuterai aucun ; mais je ne puis refouler aujourd’hui la conviction qui règne dans ma conscience et dans mon cœur. Je ne puis pas ne pas l’exprimer après avoir lu depuis douze ans ces essais de