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esprit. Dans le conseil-général du département, Pavée de Vendeuvre avait été le premier élu en dépit de ses attaches aristocratiques ; Raverat, ancien curé d’une paroisse rurale, en était le président. Parmi les officiers municipaux se trouvaient des professeurs, des négocians, un chirurgien. La Société des amis de la constitution, où se réunissaient les plus ardens patriotes, le prenait de haut avec les fonctionnaires, blâmant les uns, dénonçant les autres, prétendant même obliger les administrations à congédier les employés dont elle se défiait ; mais les citoyens se réunissaient aussi par section. Dans ces clubs de quartier, des avis plus modérés dominaient quelquefois, s’imposaient même par un vote. En général, durant toute cette période de temps, l’attitude des hommes du pays que le hasard des événemens avait appelés au premier rang fut d’affecter une exagération qu’ils ne ressentaient pas. Ils faisaient volontiers beaucoup de bruit pour être dispensés de faire une besogne qui leur répugnait. Autant que possible ils réparaient d’avance par des avis officieux le mal qu’ils se croyaient obligés de faire comme administrateurs.

La grande affaire du moment était de réunir des troupes pour combattre les armées étrangères. Le premier bataillon des volontaires de l’Aube, organisé depuis près de deux ans, avait été envoyé à Saint-Domingue, où il avait mérité des félicitations par sa belle conduite. Les second, troisième et quatrième bataillons s’étaient mis en route pour la frontière de l’est avant la bataille de Valmy. A l’automne de 1792, de nouvelles levées devinrent nécessaires. Les plus enthousiastes étaient partis ; l’enrôlement ne s’opérait plus qu’avec peine malgré les efforts des autorités. On indiquait à chaque commune le nombre d’hommes qu’elle devait fournir. Le plus souvent, dans les communes rurales, le contingent était alors désigné par l’élection ; de là des abus sans nombre. Ici, les citoyens pauvres, se trouvant en majorité, nommaient exclusivement les enfans des familles aisées ; ailleurs les riches s’entendaient pour faire partir les fils d’ouvriers ; puis les municipalités intervenaient pour soutenir que le départ de tant de jeunes gens nuirait aux travaux agricoles. D’ailleurs tout manquait aux recrues ; non-seulement l’esprit militaire et l’instruction pratique, mais aussi les habits, les souliers et surtout les fusils. Alors on ouvrait des souscriptions en nature ou en argent pour vêtir et armer ces soldats improvisés. Cependant, comme il y avait de l’enthousiasme au fond, tout cela marchait, s’équipait et se trouvait bientôt en mesure d’entrer en ligne contre la Prusse ou contre la Vendée.

Néanmoins la convention, qui jugeait sans doute que le département de l’Aube n’allait pas assez vite, expédia à Troyes l’un de