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stock. En route, les deux cortèges se rencontrèrent ; pour la première fois, Baruch, revenant du cimetière, aperçut cette belle femme enveloppée d’une pompe éblouissante, et cette femme appartenait à son beau- frère, à ce songe-creux. — C’était la première fois aussi que Pennina voyait Baruch ; tandis que les yeux noirs du jeune homme la dévoraient de loin, les siens flamboyèrent sous le voile sombre de ses cils soyeux. — Qui donc, eût voulu demander Baruch, qui donc est celle qui s’annonce comme l’aurore, belle comme la lune, terrible comme un démon ?… — car la beauté de Pennina avait en effet un caractère funeste comme celle de Naamah, le diable femelle. Il se fût volontiers approché d’elle en disant : — Fleur de Saron, rose de la vallée, toi dont les lèvres sont comme un cordon de roses et les joues comme l’écorce d’une grenade, toi la plus belle d’entre les femmes, tu m’as ravi le cœur, je suis malade d’amour ! — Mais les paroles ne trouvèrent pas le chemin de sa bouche, qui murmura lentement : — Un jardin fermé, une fontaine scellée !

Et Pennina ? — Elle poussa un long soupir : — Quel est cet homme ?

— Ton beau-frère Baruch Koreffle Rebhuhn.

Elle soupira encore ; un sentiment inconnu s’était glissé dans son cœur à la fois triste et joyeux, humble et fier ; elle croyait le printemps venu et s’imaginait entendre la tourterelle amoureuse chanter pour la première fois au sommet de l’érable. Elle entra dans la maison comme en rêve, et comme en rêve assista aux danses du haut de son siège nuptial ; elle ne dansa pas, elle eut un sourire moqueur en voyant danser, selon la coutume juive, les femmes avec les femmes, les hommes avec les hommes, et songea qu’il serait beau de danser avec Baruch.

L’étoile du matin brillait au ciel bleu pâle, lorsque les invités se dispersèrent après avoir reconduit le riche couple jusqu’au seuil de la maison que Rosenstock avait meublée avec un vrai luxe Israélite. Le dernier regard de Pennina en y entrant fut pour Baruch ; ses yeux semblaient le supplier ; il l’aborda, saisit sa main blanche et froide, la baisa, et cette altière beauté tressaillit.

— Que Dieu te garde, dit Baruch.

Elle balbutia quelques mots que personne ne sut comprendre. Ghaike, son mari et son père rentrèrent chez eux seuls et en silence. Arrivé dans la petite chambre que des cloisons de bois divisaient en trois compartimens, Konaw bénit encore ses enfans, puis les laissa seuls. Baruch, debout, les mains sur les hanches, regardait en souriant autour de lui ; mais la petite Ghaike, timide et frissonnante, n’osait l’observer qu’à la dérobée. Assise ainsi sur sa chaise