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chefs-d’œuvre du XVIIe siècle ont paru. Le grand siècle classique à cette période de son âge, en 1675, avait donné toute sa mesure. Molière était mort. Bossuet avait prononcé ses plus beaux discours. L’apogée de la grandeur du roi, que l’on date avec raison de la paix de Nimègue (1678), approchait. Deux siècles, n’est-ce pas assez pour constituer une antiquité, surtout lorsque dans cet intervalle on compte une rupture semblable à celle de la révolution française ?

Cette idée une fois en possession des esprits, il n’y avait plus qu’à en tirer les conséquences, c’est-à-dire appliquer à notre littérature classique ce grand travail de critique savante et de solide érudition qui depuis le XVIe siècle a été appliqué aux œuvres de l’antiquité grecque et latine. Telle est la pensée qui a inspiré la grande collection des Écrivains de la France. La direction en a été confiée à l’un des maîtres de la science philologique, M. Ad. Régnier, non moins versé dans la littérature française que dans la science indianiste, chez qui le goût s’unit à la méthode et l’amour des lettres à l’esprit scientifique. Tel est du reste le caractère dominant et général de toute la publication. Le sentiment littéraire n’y est nulle part sacrifié à l’érudition, et elle peut satisfaire à la fois et les admirateurs de nos grands écrivains et les curieux, plus amoureux d’exactitude que d’esthétique.

Une circonstance importante a contribué également à provoquer le grand travail dont nous venons de parler. Tout le monde se souvient de la surprise qu’éprouva le monde littéraire en 1842, lorsque M. Cousin, dans son fameux rapport sur Pascal, démontra que le texte des Pensées avait été profondément altéré, mutilé, quelquefois même trop maladroitement enrichi par ses éditeurs. Dans le premier étonnement, je dirai presque dans le premier scandale de cette découverte, on se montra fort sévère pour les falsificateurs : ils semblaient avoir manqué à tous les devoirs du respect et de l’amitié. Une appréciation plus judicieuse et plus équitable a bientôt succédé ; on s’aperçut qu’on transportait indûment à d’autres temps les sentimens d’admiration superstitieuse qui naissent de l’ancienneté, major e longinquo reverentia. De tels sentimens n’existaient pas au lendemain de la mort de Pascal. Il n’avait pas encore été canonisé par la critique littéraire. Tout ce qu’il avait pu écrire ou pensé n’était pas chose sacrée. Il y avait des ménagemens à garder, soit dans l’intérêt de la religion, soit dans l’intérêt de l’auteur. Ce qui est noble audace chez un immortel sera paradoxe téméraire et bizarre chez un homme d’hier, que l’on a connu, que l’on a vu dans les salons, qui s’est engagé dans les polémiques du jour et qui appartient à une secte suspecte. Les amis de Pascal