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barrière qui sépare d’une société de conférences ou d’une école de morale un culte rationnel réduit à sa plus simple expression.

Et cependant, si vague et si large que soit la théodicée de M. Moncure D. Conway, on ne peut contester que sa prédication ne réponde au sentiment religieux de ses nombreux auditeurs ; mais ce succès tient peut-être plus à la forme qu’au fond de sa doctrine. N’était l’absence de toute invocation à la Divinité, nous aurions même trouvé dans ses pratiques, s’il faut le dire, encore plus de chaleur et de vie, non-seulement que dans la petite église libre du docteur Perfitt, mais même que dans le déisme formaliste du révérend Charles Voysey. C’est que, fidèle à son principe, M. Conway, au lieu de s’adresser au raisonnement pour provoquer l’émotion religieuse, se contente de faire vibrer ces cordes lyriques du cœur humain qui sont les plus puissans auxiliaires, sinon les sources principales du sentiment religieux, ajoutons que, comme orateur, M. Conway, sans viser à l’éloquence, possède une voix fort claire et surtout fort onctueuse. Il excelle principalement dans le choix des images comme des apologues qu’il sème à travers ses discours, et si sa pensée se dérobe parfois sous les voiles d’un naturalisme nuageux, il sait faire jaillir de cette obscurité même un certain reflet de mystère et de grandeur qui satisfait les élans religieux de son auditoire, du reste facile à satisfaire.


IV. — LES COMTISTES. — LES HUMANITAIRES.

On pourrait croire que les « théistes libres » de M. Moncure D. Conway ont atteint le dernier terme d’une religion fondée sur l’élimination progressive du surnaturel ; au-delà, il semblerait qu’il n’y a plus de culte possible, puisqu’il n’y a plus de place que pour l’athéisme, c’est-à-dire pour la négation dogmatique de Dieu. Cependant Londres possède encore une église, si église il y a, qui mérite d’être signalée ici. Je veux parler du positivisme ou plutôt du comtisme, qui prétend substituer au culte de Dieu la religion de l’humanité. On connaît la scission qui éclata dans le positivisme, du vivant même de son fondateur. L’école qui a prévalu en France rejette complètement les vues politiques et religieuses d’Auguste Comte, pour s’en tenir à son système philosophique ; mais en Angleterre un petit groupe, constitué par des hommes de réputation et de talent, a accepté dans son ensemble la doctrine du maître. Leurs réunions se tiennent non loin du British Muséum, dans une salle de Chapel street, rehaussée par les bustes en plâtre des treize grands hommes que Comte a donnés pour patrons aux mois de son fameux calendrier. Les adeptes sont longtemps restés en petit nombre, d’autant plus que les comtistes se sont toujours défendus