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limités d’idées ; il ne saurait se prêter à la composition des œuvres littéraires, être acceptable partout où il importe d’exprimer les nuances de la pensée avec netteté, précision, élégance.

On le voit, nous sommes bien loin d’une écriture universelle, aussi loin peut-être que d’une langue unique ; mais, si l’on ne peut opérer à cette heure d’unification entre des alphabets radicalement différens et depuis longtemps en usage, on peut au moins réduire le nombre de ceux qui existent. Il se produira sans aucun doute pour les systèmes graphiques ce qui s’est déjà produit à l’égard des langues. Bien des idiomes tendent à disparaître pour ne plus laisser à la surface du globe que quelques idiomes qui finiront par s’en partager seuls la possession. Les alphabets particuliers à certaines langues mourront avec ces langues mêmes, et l’on ne comptera plus sur la terre qu’un nombre fort restreint d’écritures. L’alphabet latin a déjà pris la place de plusieurs alphabets par la substitution de l’emploi d’une langue européenne à un vieil idiome national.

L’histoire de l’écriture soulève encore une question. Le système alphabétique est-il le dernier mot des procédés graphiques ? Fera-t-il un jour place à un système plus simple ? Je ne le pense pas, et voici les motifs de mon opinion. Toutes les inventions humaines ne sont pas susceptibles d’un progrès indéfini ; elles trouvent des bornes dans l’essence même de nos facultés, dont elles facilitent l’exercice, étendent l’application, mais ne sauraient changer la nature. Une fois qu’une invention a fait produire à l’idée sur laquelle elle repose tout ce que celle-ci peut renfermer, elle doit s’arrêter, absolument comme en géométrie, lorsqu’on a une fois découvert le mode d’évaluation d’une surface ou de la contenance d’un volume, on ne peut plus imaginer un moyen tout à fait différent. Assurément nous avons beaucoup perfectionné nos procédés : l’industrie humaine a fait de nos jours des prodiges, mais il y a des arts qui épuisent leurs ressources ; passé un certain terme, leur domaine ne s’agrandit plus, bien qu’il puisse être de mieux en mieux cultivé. Plus un procédé, plus un art est simple de sa nature, plus il est près du terme qu’il ne saurait dépasser. Aussi pour nombre de ces choses qui ne demandent ni grandes combinaisons, ni une dépense toujours nouvelle d’intelligence, en sommes-nous restés au point où en étaient nos aïeux, où en était même déjà l’antiquité. Les beaux-arts n’avaient-ils pas atteint chez les Grecs plus haut que nous ne nous sommes encore élevés ? Dans d’autres ordres de travaux, ne voyons-nous pas le même fait se produire ? La fabrication d’une foule d’objets très simples n’a pas depuis des siècles plus varié que la manière de faire les quatre règles. L’esprit d’invention se porte sur des actes plus complexes. Cela nous explique pourquoi les sociétés dont les besoins intellectuels et physiques demeurent peu