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A l’occident de l’Europe, un autre courant, dont nous suivons mai la direction dans les profondeurs chronologiques où il s’est opéré, transporta jusqu’en Ibérie l’alphabet phénicien, y donna naissance à une écriture spéciale que nous connaissons par les monnaies et les inscriptions, et qui dota ainsi l’Espagne de ses premiers monumens écrits. C’était là sans doute le résultat des colonies phéniciennes et carthaginoises ; se sont-elles avancées plus loin, et, ne se bornant pas à s’aventurer dans l’Océan pour aller chercher l’étain aux îles Cassitérides, ces deux peuples congénères ont-ils porté en de lointains parages la merveilleuse invention de l’écriture ? Il est certain que les runes, représentées par la tradition des peuples du nord comme une révélation d’Odin et qui étaient en usage chez les Germains et dans la Scandinavie avant l’introduction du christianisme, présentent certains caractères qui rappellent plusieurs lettres phéniciennes du type sidonien. Peut-être ces analogies ne sont-elles que trompeuses. Quoi qu’il en soit, les runes dites allemandes, mentionnées déjà au VIe siècle par le poète Fortunat et que l’on traçait sur des planchettes ou sur l’écorce des arbres, trouvent leurs prototypes dans les runes Scandinaves, qui n’étaient peut-être à l’origine que des signes purement magiques, tout au moins de simples dessins commémoratifs. Il en faut dire autant des anciens caractères oghamiques de l’Irlande, dont au moyen âge on attribua l’invention à un prétendu Ogma, fils d’Élathan. Ces caractères oghamiques se sont transformés en un alphabet dont l’origine latine est difficilement méconnaissable, quoique l’ordre de ces lettres ne soit pas celui de l’alphabet latin. Les Anglo-Saxons, auxquels les Irlandais demandèrent plus tard leur alphabet, avaient aussi des runes, qui procèdent des runes Scandinaves, et dont les formes associées aux lettres latines ont fourni les élémens de l’alphabet anglo-saxon. Il y a donc eu au nord de l’Europe entre des branches diverses de la souche graphique des espèces d’anastomoses. C’est ainsi qu’en combinant les runes germaniques avec les lettres grecques, Ulphilas, évêque des Goths de Mœsie, dans la seconde moitié du IVe siècle, formait l’alphabet dit mœsso-gothique, qu’on trouve employé dans le fameux codex Argenteus, contenant la version des quatre Évangiles en langue gothique. Les Vindes ou Slaves septentrionaux avaient également des runes qu’ils tenaient sans doute des Scandinaves, et il n’est point impossible que quelques-uns de ces signes aient fourni à l’apôtre des Slaves, Cyrille, les lettres qu’il ajouta aux caractères grecs pour composer l’alphabet qui a pris son nom et qui date du IXe siècle. Tous les Slaves du rite grec adoptèrent l’alphabet cyrillien, dont de nombreux manuscrits nous ont conservé la configuration primitive ; les alphabets russe et serbe n’en sont que des modifications. Vers le XIIe siècle, les Slaves de la