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lorsqu’il devait avoir la prononciation ab, on le faisait suivre d’un hiéroglyphe ayant la valeur du b, et lorsqu’il devait se prononcer mer, on le faisait suivre des deux hiéroglyphes ayant les valeurs respectives de m et r. C’étaient là sans doute des moyens bien grossiers ; mais, avant d’arriver à des procédés simples, on n’en conçut que d’imparfaits. Le signe complémentaire comportait parfois lui-même plusieurs valeurs phonétiques, et il fallait alors deviner celle qui était à choisir, et le caractère à expliquer aidait à son tour à la détermination. Les Assyriens et leurs devanciers, auxquels on donne le nom encore contesté d’Accadiens, firent également usage de complémens phonétiques, qu’ils plaçaient après la dernière syllabe du mot. Ils ont eu pareillement de véritables déterminatifs, car dans le système cunéiforme certains signes particuliers précèdent les noms de dieux, d’hommes, de pays, et servent ainsi à reconnaître que le mot n’est point un substantif générique. De plus, quand le scribe assyrien employait un idéogramme ambigu, il y joignait au besoin une glose dans laquelle était donnée, en plus petits caractères, la lecture assyrienne du signe en question. Tout cela n’empêchait pas que le système graphique des Égyptiens, comme celui des Assyriens, ne fût d’un usage fort incommode et n’exigeât une grande pratique ; mais le dédale où ces écritures jetaient parfois le lecteur devint bien autre pour le système idéographico-phonétique quand celui-ci passait du peuple qui l’avait créé à un peuple qui n’en parlait pas l’idiome et dont la langue, d’un génie différent, ne possédait pas les mêmes articulations. C’est ce qui eut lieu précisément pour le cunéiforme. Les Assyriens, qui reçurent les idéogrammes cunéiformes des Touraniens, appliquèrent tour à tour à ces caractères des lectures nouvelles tirées de leur propre langue et de nouvelles valeurs phonétiques, qui ne firent pas pour cela abandonner celles que leurs devanciers y avaient attachées. Se servant ainsi simultanément et souvent dans un même mot de caractères syllabiques et de caractères purement idéographiques, ils firent de leur écriture une marqueterie très compliquée et où il était facile de s’égarer. Tandis que les idéogrammes continuaient à être employés surtout pour écrire les racines des mots, le phonétisme servait exclusivement à écrire les formes des cas, des temps, des personnes, toutes ces flexions qu’il était indispensable de noter avec quelque précision. Ainsi en passant des Touraniens aux Sémites de l’Assyrie, le système cunéiforme s’encombra d’une foule de valeurs nouvelles pour les groupes écrits à l’aide de clous. Les Assyriens imaginèrent à leur tour des groupes conçus d’après le même principe que les précédens, et les équivalens se multiplièrent indéfiniment. La polyphonie, encore très peu développée dans l’écriture dite accadienne, prit d’énormes proportions chez les