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Tous les peuples qui se contentent de représentations figurées pour rendre graphiquement la parole ne nous offrent pas un usage aussi avancé des peintures idéographiques. L’observation d’une grande exactitude dans les détails, d’une précision rigoureuse dans la reproduction de la réalité, aurait nui le plus souvent à la rapidité de l’exécution, et, dans le plus grand nombre des cas, aurait été tout à fait impossible. Comme c’était uniquement en vue de parler à l’esprit et d’aider la mémoire que l’on recourait à de semblables dessins, on prit l’habitude d’abréger le tracé, de réduire les figures à ce qui était strictement nécessaire pour en comprendre le sens. On adopta des indications conventionnelles qui dispensèrent de beaucoup de détails. Dans cette peinture idéographique, on recourut aux mêmes tropes, aux mêmes figures de pensée dont nous nous servons dans le discours, la synecdoche, la métonymie, la métaphore. On représenta la partie pour le tout, la cause pour l’effet, l’effet pour la cause, l’instrument pour l’ouvrage produit, l’attribut pour la chose même. Ce qu’une image matérielle n’aurait pu peindre directement, on l’exprima au moyen de figures qui en suggéraient la notion par voie de comparaison ou d’analogie.

Tels sont les procédés que nous offre l’écriture figurative des Égyptiens, des Mexicains. Les premiers voulaient-ils, par exemple, rendre l’idée de combat, ils dessinaient deux bras humains dont l’un tient un bouclier et l’autre une sorte de hache d’arme ; les seconds voulaient-ils exprimer l’idée de courir, ils représentaient deux jambes dans l’action de se mouvoir rapidement. Ainsi se constitua le symbolisme qui envahit de bonne heure l’écriture idéographique, comme il avait envahi la religion. En outre les images affectèrent une signification particulière par le fait de leur association ; la métaphore, l’emblème, le trope, valurent à certains groupes figurés un sens qui naissait du rapprochement des diverses images dont ces groupes étaient composés. C’est surtout de la sorte qu’on rendit idéographiquement des conceptions qui ne se prêtaient pas ou se prêtaient mal à une simple reproduction iconographique. Les Égyptiens employaient très fréquemment cette méthode, et on la trouve également appliquée dans les peintures mexicaines. On en saisit la trace dans l’écriture chinoise, dont les caractères graphiques ne sont que les altérations des images grossières des objets qu’ils dessinaient d’abord en manière d’écriture. Ces figures réunies de façon à rendre une idée constituent ce que les Chinois appellent hoei-i, c’est-à-dire sens combinés ; par exemple la figure d’une bouche humaine tracée à côté de l’image d’un oiseau signifia chant, celle d’une oreille entre les deux battans d’une porte exprima l’idée d’entendre ; le symbole de l’eau accolé à la figure d’un œil eut le sens de larmes. Il n’est pas jusqu’aux Peaux-Rouges qui n’aient usé