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est bon de jeûner, nous dit-il, mais le jeûne seul ne suffit pas. « Le Seigneur ne désire pas ces abstinences inutiles qui ne sanctifient pas ceux qui se les imposent. Vis dans l’innocence, conserve un cœur pur, suis les préceptes de Dieu, crois fermement que, si tu te préserves de toute mauvaise pensée, de toute mauvaise action, tu as vécu selon sa loi ; voilà le jeûne véritable, le jeûne agréable au Seigneur. » La vertu qu’Hermas met au-dessus de toutes les autres, c’est la charité : il l’enseigne, il en donne le goût par de petites paraboles, courtes et naïves, faites pour les pauvres et les ignorans, qui ne quittent pas l’esprit quand une fois elles y sont entrées. Un jour qu’Hermas admire une vigne et un ormeau entrelacés l’un à l’autre, l’ange lui apprend qu’on peut tirer une leçon de ce gracieux spectacle. Cet ormeau stérile, qui aide la vigne à produire de beaux fruits en lui prêtant l’appui de ses branches, c’est l’image du riche et du pauvre. « Le riche a des biens terrestres, mais il est pauvre du côté de Dieu, car il est distrait par le soin de ses richesses, et sa prière a peu d’autorité auprès du Seigneur. Lorsqu’il aura prêté au pauvre l’appui de sa fortune, celui-ci priera pour lui et lui obtiendra les biens spirituels, car le pauvre est riche en prières, et Dieu l’exauce facilement. De cette manière l’un et l’autre s’enrichissent en se faisant du bien. » C’est donc le caractère de cette sagesse d’être pratique et raisonnable ; elle a partout un air souriant, elle fuit les exagérations et les folles terreurs. « Ne craignez point le diable, dit-elle, il ne triomphe pas de ceux qui croient de tout leur cœur. » Elle défend qu’on soit triste : « la tristesse est sœur du doute et de la colère. » L’idéal du chrétien pour elle, c’est « l’homme gai, se réjouissant en paix et honorant doucement le Seigneur en toute occasion. »

Il faut remarquer aussi que les femmes semblent bien inspirer l’auteur du Pasteur d’Hermas. Toutes les fois qu’il parle d’elles, son ton devient encore plus tendre et plus poétique. Que nous sommes loin avec lui des rudesses de saint Paul ! Il est peut-être le premier chez les chrétiens qui ait présenté le tableau de ces rapports fraternels, de cette sorte de galanterie mystique qui s’établit quelquefois entre personnes d’un sexe différent. Hermas nous raconte que l’ange qui s’est chargé de le conduire l’abandonne un soir auprès de douze jeunes filles en lui commandant de l’attendre. Comme il se sait faible, il hésite à obéir et veut s’éloigner, mais elles le retiennent. « Tu nous appartiens, disent-elles, tu ne peux nous quitter. — Où resterai-je donc ? — Tu reposeras avec nous comme un frère, non comme un époux, car tu es notre frère, et nous voulons bien habiter avec toi, nous t’aimons. — Et moi, ajoute Hermas, je rougissais à la pensée de rester avec elles. Et voilà que celle qui paraissait