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hauteur l’apôtre répond à ceux qui voulaient se mettre au-dessus de lui parce qu’ils avaient fréquenté Jésus et reçu ses leçons de sa bouche. Saint Paul ne veut pas reconnaître qu’il leur soit inférieur, il affirme même que son Évangile vaut mieux. S’il n’a pas vécu avec le Christ pendant sa vie terrestre, il a recueilli ses enseignemens quand il s’est révélé à lui, et il lui semble que cette façon d’être instruit est meilleure. Il a vu Jésus dans sa gloire, il a été en contact direct avec la Divinité, sans être séparé d’elle par l’obstacle du corps. Aussi dit-il aux Galates : « Je vous déclare, mes frères, que l’Évangile que je prêche n’a rien de l’homme, car je ne l’ai point reçu ni appris d’aucun homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. » Il se met sans hésiter sur la même ligne que Pierre, à l’occasion même il ne lui ménage pas les remontrances. « Céphas étant venu à Antioche, dit-il, je lui résistai en face, parce qu’il était répréhensible. » Cette querelle remplit les Clémentines, Simon y soutient sur l’apostolat les mêmes idées que Paul, et c’est à Paul plus qu’à Simon que saint Pierre répond par ces fougueuses paroles : « Quelqu’un peut-il arriver à la doctrine par une vision ? Si c’était possible, pourquoi Dieu aurait-il pris la peine de vivre et de converser avec nous pendant une année entière ? Et qui nous force à croire qu’il te soit véritablement apparu ? Comment aurait-il pu t’apparaître, à toi qui professes des opinions contraires aux siennes ? Si, après avoir été visité et instruit par lui en une heure de temps, tu es devenu apôtre, il te faut répéter ses paroles, interpréter ses dogmes, aimer ses envoyés et ne pas faire la guerre à ceux qui, comme moi, ont vécu familièrement avec lui. Et pourtant tu m’as résisté en face, à moi qui suis la pierre solide et le fondement de l’église[1]. »

Si j’insiste sur ce fait curieux, c’est qu’il nous aide à comprendre le caractère de la théologie des Clémentines : elle ne ressemble pas entièrement à celle qui se fait dans les écoles ; comme elle se rattachait aux polémiques du temps, elle est âpre, passionnée, vivante. Elle remet une époque sous nos yeux, elle nous fait assister aux querelles qui agitaient alors toute la société chrétienne. Souvenons-nous que, dans cette société naissante, on ne se préoccupait pas de la politique, on fuyait d’ordinaire les fonctions

  1. On a signalé un autre passage des Clémentines où la ressemblance de Simon le Magicien et de saint Paul est encore plus frappante. Quand Faustus, sous les traits de Simon, s’accuse devant les habitans d’Antioche, il leur dit, pour expliquer sa sincérité inattendue : « Je vais vous dire pourquoi je vous parle ainsi. Les anges de Dieu, pour me punir de m’opposer à la prédication de la vérité, m’ont violemment battu cette nuit. » C’est une parodie manifeste de ce passage de saint Paul aux Corinthiens : « Dieu a permis que l’ange de Satan me donnât des soufflets. »