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stratéges des thèmes frontières jouaient donc à peu près le même rôle que, sous Charlemagne, les commandes des marches d’Espagne, de Carinthie, de Saxe. Tels étaient au Xe siècle les stratèges de Chaldée, de Mésopotamie, de Lycandos, de Séleucie, de Colonée, de Cappadoce. Sur ces espèces de confins militaires vivaient des stratiotes, successeurs des milites limitanei de l’empire romain. Ils tenaient du souverain de Constantinople, sous l’obligation de le servir, des espèces de fiefs militaires qui, comme ceux d’Occident, se transmettaient de mâle en mâle et qui ne tombaient entre les mains d’une fille qu’à la condition que celle-ci, en se mariant, présenterait un guerrier capable de desservir le fief. Les stratiotes, que certains textes appellent aussi des cavaliers (caballarii), subdivisés en escadrons et en bandes, formaient donc sous les ordres du stratège une manière de milice féodale. Quand les croisés français, au XIIIe siècle, s’emparèrent de la Morée, ils trouvèrent tant de similitude entre les stratiotes grecs et les barons d’Occident que la fusion entre les deux noblesses s’opéra promptement. La Chronique française de Morée n’hésite pas à donner aux guerriers indigènes le titre de gentilshommes, et ceux-ci, dans leur langage, qualifient les croisés de stratiotes ou de cavaliers. En face des marches byzantines de Cappadoce et de Mésopotamie, le monde musulman avait les siennes. Les émirs d’Erzeroum, de Mélitène, d’Édesse, de Mossoul, retenant sous leurs étendards un certain nombre de guerriers arméniens ou arabes, protégeaient les frontières du califat. Les bords de l’Euphrate se hérissèrent de clisurœ byzantines et de forteresses sarrasines comme les bords du Rhin et du Danube se couvraient à la même époque de donjons féodaux. Des rivages du Pont-Euxin aux déserts de Syrie s’étendait une double série de postes ennemis. Partout des tours, des créneaux, des ponts-levis ; partout des guerriers bardés de fer, des bandes de stratiotes conduits à la bataille par des stratèges ou des émirs. Les margraves byzantins, comme ceux des Allemagnes, ne se piquaient pas d’une obéissance aveugle aux ordres de leur souverain. Si le gouvernement central faiblissait, ils ne prenaient plus conseil que d’eux-mêmes. Les émirs de leur côté, profitant de la décadence du califat, vivaient en princes indépendant contractaient des alliances à leur fantaisie. Les subordonnés imitaient l’indocilité de leurs chefs. Dans le désordre universel, des aventuriers chrétiens ou musulmans avaient trouvé moyen de se créer entre les deux partis de petites principautés. Des bandes de bannis et de brigands s’étaient formées, semblables à ces malandrins qui surprenaient quelque château de la Souabe ou de la Franconie et s’y cantonnaient pour inquiéter le pays. Toute l’Asie antérieure retentissait du bruit des armes, du renom des exploits