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simples et primitives, aux mœurs rudes et guerrière, où l’écriture est un art presque entièrement inconnu. Au contraire, la Constantinople de Léon le Philosophe et de Constantin Porphyrogénète est l’héritière de la culture grecque, alexandrine et romaine ; elle est la résidence de tout un peuple de lettrés, familiers avec les œuvres les plus raffinées du bel esprit antique, blasés sur tous les artifices de la rhétorique et de la poétique, plus enclins à goûter les pastorales de Longus ou les mièvreries anacréontiques que les grands vers d’Hésiode et d’Homère. Les écrivains de Byzance, surtout à cette époque, se bornent à dépecer les ouvrages anciens, à en faire des collections d’extraits, comme le Myriobiblion du patriarche Photius, ou les encyclopédies de l’empereur Constantin VII. Ils sont surtout des éplucheurs et des discuteurs de textes, d’admirables bibliographes. À côté d’eux, des jurisconsultes rompus à l’interprétation et à la chicane des lois, des théologiens pour lesquels l’art de disputer n’a plus de secrets, des grammairiens qui, dans Eschyle et Sophocle, se préoccupent surtout des formes d’aoristes ou d’optatifs, puis toutes les variétés de ces savans qui se rendent

 
……………………. Fameux
Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux.


L’esprit grec à cette époque est un esprit critique, positif, avec des instincts de curiosité scientifique, mais sans enthousiasme, sans élan, amoindri et appauvri, débilité en quelque sorte par les jeûnes intellectuels que lui impose le cléricalisme orthodoxe, découragé par la croyance généralement répandue alors, consignée notamment dans les Oracles de Léon le Philosophe, que Constantinople et la civilisation hellénique touchaient à leur fin. Ce raffinement poussé jusqu’à l’énervement, cette anémie morale contrastent avec les conditions exigées pour la poésie épique, non pas celle que des lettrés comme Virgile ou le Tasse peuvent composer à loisir dans quelque cour élégante, mais celle qui naît spontanément chez les nations héroïques, d’un sang jeune et bouillant, riches d’avenir et d’illusions.

Si nous considérons d’autres côtés de la vie byzantine, nous sommes tout aussi loin de l’épopée. Nous voyons partout la richesse le luxe, je dirai presque le confort d’une de nos grandes capitales modernes. Nous voyons une cour polie, tout absorbée dans les menées souterraine, les rivalités de coteries, les intrigues des femmes et des moines, et dans laquelle le souverain est au même titre que ses courtisans l’esclave de la convention et de l’étiquette, ― une administration rigoureusement hiérarchisée, entichée de réglementation et de paperasserie, suppléant par l’activité de ses in-