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formule et qui sera l’œuvre de la jurisprudence ; mais, en attendant que les règles en soient posées, combien d’incertitudes, d’obscurités, de périls, dont la perspective doit effrayer les intéressés !

La naturalisation, qui en matière d’état établit ainsi entre les indigènes et nous une assimilation à leurs yeux désavantageuse, ne leur confère pas en retour, sous le rapport des charges publiques, les immunités dont nous jouissons, de sorte qu’ils en peuvent être également détournés par l’égalité qu’elle crée et par l’inégalité qu’elle maintient. On sait qu’en Algérie les Européens ne sont pas assujettis encore à l’impôt foncier, qu’ils paient seulement la cote personnelle et mobilière et des taxes commerciales et professionnelles. Les indigènes au contraire acquittent une contribution foncière, mais qui diffère de la nôtre par l’assiette, la répartition et la perception : elle est basée sur le chiffre des troupeaux et sur l’état des récoltes courantes. L’impôt sur les bestiaux s’appelle le zekkat, d’un mot arabe qui signifie bénédiction. Cette taxe est établie par tête de bétail et échelonnée en raison de la valeur des espèces. L’impôt sur les récoltes a reçu le nom d’achour, mot qui se traduit par dîme, parce qu’il est censé prendre la dixième partie du revenu. Il suit du principe de cette contribution que la quotité en peut varier d’une année à l’autre : c’est ce qui arrive dans les provinces d’Alger et d’Oran. Dans celle de Constantine, l’achour est établi sur les charrues (chaque charrue laboure de huit à dix hectares), ce qui lui donne une certaine fixité. En Kabylie, il est remplacé par un impôt de capitation appelé hokor. Le gouvernement a la faculté de faire, au cas de perte ou insuffisance de récoltes, épidémies, épizooties, remise partielle ou même totale de leur impôt aux contribuables, et il ne se passe guère d’année où l’on n’allège pour quelque motif de cet ordre les charges d’une tribu ou de plusieurs.

Malgré ce qu’un pareil système comporte de précaire et d’aléatoire, il s’est établi un équilibre à peu près régulier qui permet de prévoir dans les circonstances normales un chiffre de recettes constant, et, quoique les Européens versent annuellement au trésor par les patentes, le télégraphe, les postes, les douanes, l’enregistrement, une somme presque égale à celle qui provient de l’impôt arabe, on considère les produits de cet impôt comme la principale ressource de l’Algérie, et ils figurent à ce titre dans les évaluations budgétaires. Si la naturalisation pouvait avoir pour effet de dispenser les indigènes de l’impôt arabe, ceux qui l’auraient obtenue n’en paieraient plus en l’état d’aucune sorte. Sous peine de se priver sans compensation de cette ressource, il faut en conséquence que l’impôt arabe soit uniformément perçu selon la tradition jusqu’à une réforme de la législation sur la matière.