Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/898

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les revivals, il est toujours la religion proprement dite de la petite bourgeoisie et de la classe ouvrière. Quant à la broad church, c’est dans le monde instruit, universitaire, voyageur, qu’elle a fait jusqu’à présent ses plus nombreuses recrues, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient encore assez nombreuses pour constituer un grand parti ; mais elle s’étend et se fortifie. L’esprit de recherche indépendante que « l’église large » entretient a favorisé la production d’œuvres nombreuses qui mettent désormais la théologie anglaise comme science au niveau de celles du continent. Une autre grande tempête ecclésiastique a fait oublier celle des Essays. L’évêque colonial, M. Colenso, arrivé chez les Cafres encore très attaché à la tradition biblique, en revint il y a peu d’années persuadé qu’on se faisait beaucoup d’idées fausses sur le saint livre ; certaines objections naïves de ses catéchumènes zoulous lui avaient donné beaucoup à réfléchir, et il avait, entre autres découvertes, reconnu l’impossibilité d’admettre que Moïse soit l’auteur du Pentateuque. Un très savant livre fut le résultat de ses recherches. De là à des explications très rationalistes de la vénérable épopée des Hébreux, il n’y avait pas loin, et le digne évêque ne manqua pas de les proposer en toute franchise. Aussitôt le cri de guerre retentit d’un bout à l’autre de la terre anglaise. On voulut absolument que l’évêque apostat quittât son siège ou fût destitué. L’évêque, qui n’avait pas conscience d’avoir contrevenu à ses devoirs, entendit rester à son poste ; nouvelles sommations, procès, sentences dont appel ; bref, il en fut comme pour les essayistes, dont par parenthèse un des plus marquans, le docteur Temple, est devenu évêque d’Exeter ; la juridiction appelée à prononcer en dernier ressort dans l’affaire Colenso ne trouva pas de termes formels pour condamner une hérésie que pas un des XXXIX articles, pas un statut de l’ancien temps n’avait pu prévoir. Jusqu’à présent, si nous exceptons un ou deux cas individuels où la question se compliquait de considérations d’un autre ordre, les efforts des partis intolérans pour expulser la broad church de l’enceinte sacrée n’ont pas abouti : elle a droit de cité dans l’anglicanisme.

Cette tendance libérale et scientifique réussira-t-elle à réformer pacifiquement la vieille église et à infuser dans son organisme passablement décrépit le sang d’un nouveau rajeunissement ? Il nous serait difficile de nous prononcer à cet égard. D’une part le libéralisme anglican, respectueux de l’organisation et des formes populaires de l’anglicanisme, très épris, dès que la question de vérité n’est pas en jeu, de cette piété contenue, sérieuse, austère, non sans poésie ni sans symboles variés, qui caractérise la religion anglicane vue de son bon côté, ce libéralisme a pour lui l’attrait qu’il exerce sur les hommes trop instruits pour se complaire dans