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présente rien que la philosophie de l’histoire n’explique parfaitement ; mais de nos jours et dans ces immenses Indes ! .. Le missionnaire anglais débarquait avec la prétention d’inculquer aux Hindous notre orthodoxie européenne, notre dogmatique et notre scolastique. Il s’imaginait que cette population orgueilleuse de ses traditions, fière de son passé, attachée par tous les liens à ses rites et à ses mythes tragiques, façonnée, elle aussi, par une scolastique indigène, pourrait adopter le christianisme occidental avec la même confiance implicite qui avait déterminé la conversion de quelques peuplades sauvages. Sans doute ce missionnaire s’était ordinairement évertué à apprendre la langue du vaste pays ouvert à sa propagande, regrettant plus d’une fois, je suppose, que le Saint-Esprit ne jugeât plus à propos, comme aux premiers jours, de conférer le don miraculeux des langues aux apôtres de l’Evangile. Il connaissait fort mal la religion brahmaniste. Il en apportait d’Angleterre les notions vagues, inexactes, que nous avons tous partagées sur l’autorité des anciennes descriptions jusqu’au moment où les orientalistes modernes nous ont sérieusement initiés aux doctrines et à l’esprit de cette antique religion. Combien de fois le pauvre missionnaire eut-il bouche close devant les réfutations ou les objections des doctes pandits qui avaient l’immense avantage de le dénoncer à leurs compatriotes comme un présomptueux qui ne savait pas même en quoi consistait la foi qu’il attaquait ! Ajoutons que bien des argumens qui faisaient bonne figure dans les traités anglais d’apologie du christianisme changeaient singulièrement de physionomie quand on les transplantait au beau milieu de la société hindoue. Qu’était-ce que l’antiquité chrétienne à côté de la tradition des brahmanes, les miracles chrétiens en regard des éblouissans prodiges accomplis sous le ciel des Indes, les prophéties juives comparées aux visions révélatrices des saints fakirs ? Pouvait-on sans autre preuve décerner à la Bible l’écrasante supériorité d’une révélation purement divine sur un amas d’erreurs superstitieuses ? Et quant à cette excellence morale qui, pour nous tous en Europe, croyans et non croyans, confère à la religion chrétienne le plus solide et le plus beau de ses titres, était-il bien facile de la faire valoir devant des gens qui voyaient tant de chrétiens lui infliger de scandaleux démentis, et qui n’admettaient nullement que notre idéal moral fût supérieur ou même égal au leur ? Enfin les préjugés de caste dressaient leur formidable barrière. Le fait est que le christianisme européen, sous aucune de ses formes, n’a sérieusement entamé la population hindoue. L’islamisme a fait aux Indes des conquêtes bien plus considérables, menaçantes même pour la tranquillité de la domination britannique, et si un mouvement religieux de quelque importance a dans les dernières années rapproché l’esprit