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domestiques, moi bien traitée de tous ; il n’y en a pas de plus heureuse au monde. — Bien ! bien ! fit le père. » — Et le bonhomme va rapporter la nouvelle aux sœurs aînées, qui voudraient bien aller voir aussi tout ce bonheur ; mais c’est impossible, l’injonction est formelle : le chevalier a permis les visites du père, mais du père seul. Si on le priait bien de laisser revenir leur sœur une fois, une seule fois dans leur maison, les aînées seraient bien heureuses ! Le chevalier y consent, mais une seule fois. Et voilà la cadette reçue par ses sœurs avec toute sorte de cérémonies, et les questions de pleuvoir, comme on peut le penser. Comment est le visage du mari ? C’est la question capitale. La mariée fut bien forcée d’avouer qu’elle ne l’avait point vu. La plus grande sœur lui dit alors :

« — Écoute ce que tu as à faire ; prends cette chandelle de cire que je t’apporte, et puis, quand il sera couché et qu’il dormira, tu l’allumeras et tu regarderas bien le visage de ton mari, et après tu sauras nous dire comment il est. — Cette proposition de la sœur n’était pas faite de bonne foi, c’était l’effet de l’envie… La cadette comprit bien que c’était pour lui faire perdre la fortune, mais toutes les deux firent tant et si bien que la plus jeune fut persuadée et promit de faire ce qu’elles disaient. La jeune sœur est ramenée chez son mari, rentre dans sa chambre, se couche le soir, attend qu’il vienne, et, quand il est venu, demeure éveillée, attendant qu’il dorme, et, quand il dort, allume la chandelle de cire et se met à le regarder. Et plus elle le regarde, plus elle l’admire. — Oh ! comme il est beau ! que j’ai donc un beau jeune homme ! — Pendant qu’elle faisait toutes ces réflexions, voici une goutte de cire chaude qui tomba dans le nez du chevalier, et lui, se sentant brûler, se réveilla en disant : — Trahison ! trahison ! — Il se leva, et aussitôt il renvoya sa femme. »


Dirons-nous la fin de ce conte, comment l’épouse, qui était grosse, se mit en chemin, trouva deux ermites, l’un plus vieux que l’autre, se chaussa de souliers de fer, et en marchant longtemps, longtemps, finit par arriver au palais du roi Cristal, celui à qui les fées avaient enlevé son enfant ? C’est là une seconde histoire assez mal accrochée à la première. Ce qui nous intéresse dans tout ceci, c’est le mariage mystérieux de la pauvre fille, c’est la curiosité qui la perd, c’est le sujet qui a tenté tant de poètes : aujourd’hui M. de Laprade, avant lui Corneille et Molière, La Fontaine, longtemps avant eux Apulée, c’est le vieux mythe d’Amour et Psyché. Et n’est-il pas singulier qu’Apulée ait commencé son récit comme un conte de fées : Erant in quadam cîvitate rex et régina ; il y avait dans une certaine ville un roi et une reine ?

Mais voici une histoire qui nous a paru plus étonnante encore ; c’est la légende de la Belle de Liccari.