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de verdure il n’en trouva point ; il ne trouva qu’un chou et se mit à le couper, mais n’en put venir à bout, le tronc étant fort, et puis la pluie l’assassinait. Il rentra donc chez lui et ses filles lui dirent : — Père, qu’avez-vous fait ? Vous n’avez pas apporté de légumes ? — Le père raconta sa malechance, et les sœurs aînées s’en prirent à la petite parce qu’elle n’avait pas de bonheur et que leur père avait pensé se noyer à cause d’elle ; mais le père leur dit : — Je ne veux pas qu’on touche ma fille, vous n’avez pas de bastonnade à lui donner. Quand la pluie aura cessé, j’irai cueillir de la verdure, et je la porterai à cette dame qui l’attend.

« Baste ! la pluie cessa, le père retourna vite à son chou et se remit à le couper. Vint à passer un chevalier, qui lui dit : — Que fais-tu là ? — Qu’ai-je à faire ? répondit le pauvre homme, j’ai mes filles à jeun et je coupe ce chou parce que je n’ai trouvé que cela. — Combien en as-tu, de filles ? — J’en ai trois, mais elles ne peuvent se voir, les aînées font de grands mépris à la plus petite, et elles l’ont battue hier parce que je m’étais mouillé pour elle. — Cette plus petite qu’elles ne peuvent voir, je la prendrai avec moi, dit le chevalier, et en attendant voici un peu d’argent : ce sont les arrhes que je te donne. — Le père s’en revint et fut assailli par une nouvelle averse ; il rentra tout trempé avec le chou et l’argent. Les sœurs aînées battirent encore la cadette. »

Ici, nouvelle scène de famille, exhibition du chou qui met les grandes sœurs en colère, puis de l’argent qui les apaise ; elles courent acheter des vivres et l’on soupe gaîment. Après souper, le père révèle à ses filles la rencontre qu’il a faite.

« — J’ai trouvé la fortune de marier la plus petite avec un chevalier riche qui lui donnera des domestiques. — En entendant ceci, les grandes sœurs se mirent à pleurer, mais d’envie, bien qu’elles dissent que ce fût par amour. Baste ! le père dit à la cadette de ses filles qu’elle avait trouvé la fortune, pourvu qu’elle voulût aller avec lui près d’un cavalier qui l’attendait. Elle dit que oui, et, contente d’être délivrée de ses sœurs, elle prit congé d’elles et s’en alla. Le père la remit au chevalier, qui donna au père un sac d’écus, et lui permit de l’aller voir seul quand il voudrait en lui ordonnant de ne jamais amener avec lui ses grandes filles. Les domestiques firent monter la cadette dans la maison et lui consignèrent sa chambre, à la condition pourtant qu’elle n’en sortirait jamais, et jamais n’ouvrirait la porte de la chambre qui était en face. — Va bien, répondit-elle, je ne l’ouvrirai pas. — Le soir, comme elle était couchée et qu’elle s’endormait seule et dans l’obscurité, son mari vint se mettre près d’elle. Le mari avait un système de ne jamais laisser voir son visage ; il n’allait donc près d’elle que la nuit, quand il faisait noir. Elle le comprit et ne s’en inquiéta pas. Le mari se mit aussi à dormir. Le lendemain, le père alla voir sa fille et lui demanda : — Comment te trouves-tu ? es-tu bien ? — Oh ! répondit-elle, je suis comme une petite reine : moi riche, moi joyeuse, moi servie par tant de