Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/813

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élevé où peut se déployer une armée de 20,000 hommes. L’adroit Colonna sait bien que Lautrec sera contraint de lever une seconde fois le siège de Milan ou d’attaquer l’armée italienne, abritée sous des retranchemens inexpugnables. Il n’y a pour les nôtres qu’un parti à prendre : se retirer, chercher une autre position, ne pas exposer l’armée à une défaite certaine. Les Suisses refusent. Il y a plusieurs mois qu’ils attendent leur solde ; ils ne continueront pas sur un sol défoncé par les pluies cette fastidieuse campagne de marches et de contre-marches. Fatigués, humiliés, ils veulent en finir ; l’ennemi est là, il faut combattre. Lautrec est contraint de céder, sous peine de voir l’armée se dissoudre, et tout ce qui reste du Milanais lui échapper des mains. Les Suisses de Lautrec attaquent les retranchemens de la Bicocca ; repoussés, foudroyés, ils laissent plusieurs milliers d’hommes sur le champ de bataille, et retournent dans leurs montagnes. C’en est fait, il n’y a plus d’armée, le Milanais est perdu.

Le Milanais perdu, à cette date, c’était la menace du plus grand péril pour le royaume de France. Henry VIII n’attendait que ce signal pour s’unir à Charles-Quint. L’alliance est conclue. L’empereur et le roi d’Angleterre sont d’accord pour démembrer la France : à l’un la province de Bourgogne, qui faisait partie de l’héritage de son père Philippe le Beau, petit-fils de Charles le Téméraire ; à l’autre les provinces de Normandie et de Guienne, possédées autrefois par ses ancêtres. Ainsi, à peine reconstituée, la carte de France va être déchirée de nouveau ! Quand on lit dans les pages de M. Mignet le détail de cette histoire, quand on assiste à ces préparatifs de l’invasion de 1523, on se rappelle involontairement les beaux vers que Ronsard a écrits plus tard à l’occasion d’une autre menace de ruine :

Ah ! que diront là-bas, sous les tombes poudreuses,
De tant de vaillans rois les âmes généreuses ?

Quoi ! cette belle terre, ce beau royaume de France reconquis pied à pied par la sagesse ou l’héroïsme, l’invasion va le démembrer ? N’est-ce pas l’heure pour François Ier de changer enfin de politique ? La poursuite du Milanais, si fatale à ses deux prédécesseurs, attire sur lui l’inimitié implacable de l’empereur ; n’est-ce pas le moment de reprendre la politique de Louis XI, celle qu’indique le bon sens, que commande la nature des choses ? Renonçons à l’Italie, où nous ne serons jamais que des étrangers ; sans sortir de nos frontières naturelles, les occasions de labeur et de gloire ne nous manqueront pas. C’est au nord que la destinée nous appelle. Voilà le plan que François Ier se serait tracé à lui-même, si le point d’honneur n’eût prévalu sur les conseils de la raison. Au