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avait conduit le royaume en digne fille de Louis XI ; le jeune roi n’a point sa ferme sagesse, son esprit clairvoyant et viril, mais il est brave, hardi, entreprenant comme les princes de sa race, et son imagination se laisse prendre à toutes les chimères. Le royaume de Naples a été légué au roi de France en 1481 par le dernier représentant de la seconde maison d’Anjou, Charles III, comte du Maine et de Provence ; un legs fait au roi de France peut-il être ainsi abandonné ? Charles VIII voit là une question d’honneur, la politique ne l’arrêtera point. La France est entourée d’ennemis tout prêts à profiter de ses fautes ; il doit craindre également les Anglais, auxquels son aïeul Charles VII a repris la Normandie et enlevé la Guyenne ; l’empereur Maximilien, dont le fils Philippe le Beau a vu son héritage diminué par Louis XI de la Bourgogne, du Charolais et de l’Artois ; enfin le roi Ferdinand d’Aragon, impatient de nous reprendre le Roussillon et la Cerdagne que le roi son père nous a cédés à prix d’argent. Charles VIII s’empresse de désintéresser ces trois ennemis en leur abandonnant les conquêtes de ses ancêtres, résultat d’une politique si sagement et si laborieusement conduite. Par trois traités qui se suivent coup sur coup, à Étaples, le 13 décembre 1492, à Barcelone, le 19 janvier 1493, à Sentis, le 23 mai de la même année, il appauvrit le trésor et démembre la France. En dédommagement de la Normandie et de la Guyenne, il se reconnaît débiteur envers le roi d’Angleterre d’une somme de 740,000 couronnes d’or et s’engage à lui en payer par an 50,000 ; au roi d’Aragon Ferdinand, il restitue le Roussillon et la Cerdagne ; enfin à l’empereur Maximilien, agissant au nom de son fils l’archiduc Philippe le Beau, il abandonne la Franche-Comté, l’Artois, le Charolais, la seigneurie de Noyers, sans compter les villes de Hesdin, d’Aire, de Béthune, qui seront rendues à l’archiduc lorsque, devenu majeur, il pourra prêter foi et hommage au roi de France, suzerain de ses possessions de Flandre. Voilà bien l’explication des paroles de Commines : Le roi n’était pourvu ni de sens, ni d’argent. Pour suivre sa chimère du royaume de Naples, le roi de France livrait une partie de la France !

On sait l’histoire de cet étrange voyage d’Italie, ces acclamations des peuples, ces villes qui ouvrent leurs portes, ce royaume conquis, sans coup férir, puis le mécontentement, la honte, la colère, les coalitions qui se forment derrière le triomphateur enivré, Charles VIII retraversant l’Italie dans toute sa longueur, non pas au milieu des cris de joie, mais au milieu des défiances hostiles, et obligé, pour rentrer en France, de passer, la lance en avant, à travers l’armée cinq fois plus forte que lui oppose le marquis de Mantoue. L’honneur lui en demeura, comme l’avait annoncé Savonarole, mais il y avait contre lui sentence de Dieu. Commines a raconté de