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ne convienne pas toujours à la peinture d’une époque aussi passionnée. Cependant n’y a-t-il que la couleur pour exprimer les tragiques aventures du XVIe siècle ? Faut-il absolument l’imagination d’un Michelet pour reproduire cette vie tumultueuse et ces luttes à outrance ? L’art a des procédés sans nombre ; tout artiste a le sien, et, s’il atteint son but, il est vainqueur. Où l’un réussit par la flamme qui se déploie, l’autre réussit par le feu qui se concentre. Celui-ci a besoin de lumière et d’ombre violemment heurtées pour réaliser l’effet qu’il a conçu ; celui-là se contente des tons les plus unis, à la condition que son dessin ait une âme. Vous voulez mettre le drame dans la passion, dans les gestes et les cris de vos héros ? Fort bien, si vous savez par là vous emparer du lecteur. Aux œuvres d’art, le succès justifie tout. Permettez seulement que l’art puisse être compris et le succès obtenu au moyen d’une méthode différente. Vous êtes un poète lyrique, un autre sera un narrateur dont un poète dramatique envierait le scenario. Il construira solidement son œuvre, il en enchaînera vigoureusement toutes les parties, et de scène en scène, d’acte en acte, par le seul secours de cette concentration puissante, il vous conduira au but qu’il s’est proposé, vous laissant dans l’esprit une image qui ne s’effacera point.

Telle est l’impression que produit le dernier ouvrage de M. Mignet, ce nouveau fragment de l’histoire du XVIe siècle. L’auteur a volontairement circonscrit son sujet. Il n’écrit pas l’histoire complète de François Ier, il n’écrit pas l’histoire complète de Charles-Quint ; il veut raconter le duel des deux monarques, ce grand duel qui a duré un quart de siècle et causé tant de maux à la France. La rivalité de François Ier et de Charles-Quint ne remplit pas à elle seule les vingt-cinq années qui en marquent la durée historique ; à travers les péripéties de la lutte, bien des événemens se produisent en France comme en Allemagne, et il n’en faudrait négliger aucun pour retracer dans son entier le développement de ces deux règnes. M. Mignet les néglige de parti-pris. Il ne s’arrête pas à ce qui concerne les commencemens de la réforme sur notre sol, les progrès de la renaissance, l’épanouissement des arts, il écarte à dessein toutes ces choses si bien faites pour tenter sa plume et provoquer ses jugemens ; un seul point l’attire, la rivalité de François Ier et de Charles-Quint, c’est-à-dire l’étude approfondie des événemens politiques et militaires produits par cette rivalité. Il ne conduit même pas l’histoire de cette lutte jusqu’à l’heure où le traité de Crépy vient y mettre fin en 1544 ; il s’arrête en 1530 vau traité de Cambrai. De l’élection impériale au traité de Cambrai, de 1519 à 1530, ces onze années suffisent au tableau qu’il a conçu.

Pourquoi donc M. Mignet ne donne-t-il que la moitié de ce grand