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Habsbourg tout-puissant en Germanie, il y avait un moyen bien simple d’empêcher pareille éventualité, c’était de refuser au gouvernement de Berlin tout concours dans l’entreprise qu’il méditait. Si téméraire en effet que fût M. de Bismarck, il n’était point douteux qu’il n’oserait jamais défier l’Autriche et ses alliés du Bund devant un veto formel de la France, qui lui ôterait en même temps tout espoir du côté de l’Italie[1]. La conduite à suivre dans de telles occurrences semblait dès lors aussi clairement indiquée que singulièrement facile. Sans se mêler directement des affaires allemandes, sans froisser en rien les susceptibilités tudesques, on pouvait opposer une digue infranchissable à l’ambition prussienne : on n’avait qu’à maintenir le statu quo ; une telle politique aurait inévitablement pour elle l’appui chaleureux de l’Angleterre et encouragerait la résistance de l’Autriche et des états secondaires. Sans doute la question vénitienne se trouverait par là écartée ; mais, outre que la paix de l’Europe et la grandeur de la France valaient bien la « perle de l’Adriatique, » il n’était pas interdit d’espérer beaucoup pour la cité des lagunes du progrès du temps et des bons rapports conservés et augmentés entre la France et l’Autriche.

Gardant le plus souvent le silence au milieu de ces débats contradictoires, aimant du reste à planer au-dessus des passions et des agitations de son entourage dans la sérénité d’une intelligence calme et méditative, l’empereur Napoléon III mûrissait lentement un projet qui lui semblait tenir un compte suffisant des argumens opposés des deux côtés, et qui de plus répondait bien à la recommandation faite par lui vers le même temps à son ministre des affaires étrangères : inertia sapientia ! L’Italie lui tenait naturellement plus au cœur qu’à M. Drouyn de Lhuys ; c’était là une passion, peut-être bien un engagement de jeunesse, et il n’est pas jusqu’à l’impératrice Eugénie qui ne fût devenue ardente pour l’affranchissement, de Venise depuis l’entrée de M. de La Valette au ministère, depuis le jour aussi où M. le chevalier Nigra avait su tourner quelques couplets pleins de grâce et d’allusions au sujet d’une gondole qu’elle s’était fait construire pour la pièce d’eau de Fontainebleau. Non

  1. « Quoi qu’on en puisse dire maintenant, si la France s’était montrée opposée à ces démarches (le traité de l’Italie avec la Prusse), nous ne pouvions courir les risques de nous trouver en face d’une alliance austro-française. La Prusse était aussi préoccupée que nous, peut-être même davantage, de l’attitude que prendrait la France dans le cas d’une guerre de la Prusse et de l’Italie contre l’Autriche. » La Marmora, Un po più di luce, p. 80. — Trois jours avant la signature du traité secret avec l’Italie, M. de Bismarck disait au général Govone : Tout cela, bien entendu, si la France le veut, car, si elle venait à montrer de la mauvaise volonté, alors rien ne pourrait se faire. Dépêche du général Govone au général de La Marmora du 5 avril 1860. Ibid., p. 139.