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hauteur de plusieurs clochers dans le torrent à mes pieds… » Après tout, ce n’était pas non plus un coup manqué que celui qui abattit pour ne plus se relever le candidat chéri du Bund, le pauvre Augustenbourg, et fit tomber le petit duché de Lauenbourg dans la gibecière prussienne ! Ce fait de chasse et de diplomatie eut même un retentissement extraordinaire en Allemagne, en France, et il n’est pas jusqu’à lord John Russell qui n’en ressentît la secousse. Le principal secrétaire d’état tint à honneur de s’associer à M. Drouyn de Lhuys dans une protestation très éloquente contre les arrangemens pris à Gastein, et l’escadre cuirassée de la Grande-Bretagne, qui n’avait point paru dans la Baltique lors de la guerre du Danemark, vint du moins cette fois rendre une visite courtoise à la flotte française de Cherbourg. Là se borna du reste la démonstration des deux puissances de l’Occident ; M. de Bismarck put jouir en paix de son triomphe et du titre de comte que lui rapporta la belle campagne de 1865.

Est-il permis de se départir de la gravité de l’histoire pour signaler encore un autre incident de Gastein, un petit tableau de genre et de mœurs qui fit beaucoup parler de lui à cette époque, et devint même l’objet d’explications intimes entre le président du conseil de Prusse et un ami dévoué, tout confit en dévotion ? Et pourquoi pas, si la lettre de M. de Bismarck à M. André (de Roman) au sujet de Mlle Pauline Lucca est une des pages les plus curieuses de sa correspondance familière, si elle éclaire d’un jour bien pittoresque ce front vaste et chauve sur lequel la main du roi Guillaume venait de poser la couronne de comte ! .. Donc, au milieu de ces négociations politiques et de ses chasses aux biches, M. de Bismarck trouva le temps à Gastein de se faire photographier dans une attitude romanesque avec Mlle Lucca, première cantatrice de l’opéra royal de Berlin. Les photographies causèrent un certain scandale sur les bords de la Sprée ; les coryphées du parti de la croix furent surtout émus des licences thermales que prenait l’ancien lévite du tabernacle, le fervent disciple de MM. Stahl et de Gerlach. M. André (de Roman) voulut bien accepter le rôle du Nathan de la Bible, et, dans un sermon écrit, tout confidentiel, il ne se borna pas à parler de la Bethsabée de l’Opéra, il dit aussi quelques mots bien sentis touchant la réparation par les armes que le premier ministre de Prusse avait voulu tout dernièrement imposer au bon docteur Virchow, le très savant et très pacifique inventeur de la trichine. M. André trouvait que ce n’était point là la conduite d’un véritable chrétien ; il ne cachait pas non plus que les anciens amis gémissaient de ne plus voir leur Éliacin assister au service divin, et commençaient même à être bien inquiets de l’état de son âme. C’est à une