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circulaire en effet, M. de Bismarck posait pour la première fois la question des pays de l’Elbe, qu’il savait bien être une question de guerre. Six mois auparavant, dans la déclaration péremptoire faite le 28 mai 1864 au sein de la conférence de Londres, l’Autriche et la Prusse avaient demandé « la réunion des duchés de Slesvig et de Holstein en un seul état sous la souveraineté du prince héréditaire d’Augustenbourg, » et le cabinet de Berlin eut soin d’ajouter alors que ce prince avait « aux yeux de l’Allemagne le plus de droits à la succession, que sa reconnaissance par le Bund était par conséquent assurée et qu’il réunissait de plus les suffrages indubitables de la grande majorité des populations de ce pays… » Tout autres étaient les sentimens du ministre prussien vers la fin de la même année, quelque temps après son retour de Paris. Dans une dépêche circulaire adressée aux cours allemandes, le président du conseil de Berlin déclarait maintenant (24 décembre 1864) que des doutes graves étaient venus assaillir son esprit touchant les titres du duc d’Augustenbourg, que plusieurs concurrens sérieux, tels que les princes d’Oldenbourg et de Hesse, avaient surgi dans l’intervalle[1], qu’au milieu de revendications si multipliées et si confuses il se trouvait perplexe, que sa conscience n’était pas suffisamment édifiée sur le point de droit, qu’il éprouvait le besoin de se recueillir et de « consulter les légistes ! »

On connaît l’arrêt magnifique que ne tardèrent pas à prononcer les « légistes, » — les syndics de la couronne, — ainsi que les conclusions que sut en tirer le ministre si scrupuleux dans sa conscience. Il y avait des juges à Berlin, et ils le prouvèrent en déboutant toutes les parties, en les déclarant toutes mal fondées dans leurs prétentions : Hesse, Oldenbourg, Brandebourg, Sonderbourg-Augustenbourg, aucun d’eux n’avait de droits à la succession du Slesvig-Holstein ; seul, le roi de Danemark y avait des titres ! Or, comme le roi de Danemark avait été forcé par la guerre

  1. Il n’est pas inutile de marquer en passant les circonstances au milieu desquelles s’étaient produites ces nouvelles candidatures. Sommé par la conférence de Londres de formuler ses prétentions, M. de Bismarck n’avait pu faire autrement que de suivre l’Autriche et se prononcer (28 mai 1864) pour le duc d’Augustenbourg. Le 2 juin, à la réunion suivante de la conférence (le télégraphe avait eu le temps de jouer), le plénipotentiaire russe déclarait inopinément que l’empereur, son auguste maître, « désirant faciliter autant qu’il dépendait de lui les arrangemens à conclure, » avait cédé ses droits éventuels, comme chef de la maison Holstein-Gotorp, à son parent… le grand-duc d’Oldenbourg ! Le 18 juin, un autre parent de l’empereur Alexandre II, le prince Frédéric-Guillaume de Hesse, venait également faire valoir ses droits à la succession, auprès de la conférence de Londres. — C’est là un exemple des nombreux et discrets services que le prince Gortchakof a su rendre à son ami de Berlin dans la triste campagne des duchés.