Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
DEUX CHANCELIERS

III.
L’ACTION COMMUNE[1]


I

Si grande qu’on veuille bien faire la part du génie dans l’œuvre de M. de Bismarck, on ne saurait nier qu’une part très grande aussi en revient à l’imprévu, à un concours extraordinaire de circonstances, à cette déesse Fortune en un mot, dont les minnesinger du moyen âge ne se lassaient pas de chanter les louanges, dont Dante lui-même n’a pas manqué de célébrer dans des strophes immortelles « la course toujours lumineuse comme un astre au ciel, et la sentence toujours cachée comme un serpent sous l’herbe. » Sans doute, on peut admirer l’audace extrême avec laquelle le chancelier actuel de l’Allemagne a tant de fois laissé tomber de sa main les dés de fer du destin ; on peut même, pour parler avec le spirituel abbé Galiani, soupçonner plus d’un dé pipé dans une rafle de six tellement persistante. Il n’en est pas moins vrai que, dans sa longue carrière de joueur, le président du conseil à Berlin a rencontré parfois, aux heures les plus décisives, telle chance merveilleuse qu’aucune sagesse humaine ne pouvait prévoir, qu’aucune habileté politique n’était en mesure de préparer et où le ponte hardi n’a eu que le mérite, très considérable encore assurément, de ne pas laisser échapper la veine et d’épuiser la série. Un de ces

  1. Voyez la Revue du 15 juin et du 1er juillet.