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Il n’y avait pas de sentier, tout éboulement de sable servait de passage pour se diriger dans ce labyrinthe, où ne paissait jamais aucun bétail et que Marianne seule fréquentait. Quelques roches y servaient de siège à sa rêverie, et des touffes d’aulnes et de hêtres élancés y donnaient assez d’ombre sans étouffer la végétation basse. Marianne aime donc la nature, se disait Pierre, enivré d’une joie intérieure ; elle la comprend, elle la sent comme moi ! Et elle ne le dit pas, elle n’en parle jamais, je ne m’en doutais pas !

— Eh bien ! mon parrain, lui dit-elle en paraissant tout à coup à ses côtés, vous voyez que je ne suis pas une bonne jardinière et que vous ne changeriez pas votre nouveau jardin, que vous trouvez trop jeune, pour ce vieux marécage abandonné.

— Ce vieux marécage serait un paradis pour moi ! Sais-tu qu’un botaniste y ferait un herbier presque complet de la flore du pays ? J’y ai éprouvé plus d’une surprise, car j’y ai trouvé les espèces les plus rares et qu’il m’a fallu parfois aller chercher bien loin ; tiens, par exemple, cette élode des marais, qui est là sous nos pieds.

— Ah ! celle-là vient des pierres de Crevant, elle a bien voulu pousser ici.

— Tu as donc été quelquefois à Crevant ?

— Souvent, c’est un jardin naturel très riche ; c’est de là que j’ai rapporté cette jolie jacynthe blanche.

— Ce n’est pas une jacynthe, c’est la ményanthe, beaucoup plus belle et plus rare.

— Je ne sais pas les noms des plantes, mon parrain, mais je connais bien leur figure et leur odeur. Toutes les fois que je me promène, je recueille des graines, des oignons ou de jeunes plantes, je les apporte ici, où presque tout réussit.

— Alors je comprends ce que je vois. Ce petit éden est ton ouvrage ?

— En partie ; mais je ne me vante pas d’acclimater volontairement toutes ces folles herbes, on me tiendrait pour folle.

— Tu aurais bien pu me le dire à moi, qui ai la même manie.

— Oh ! vous, vous êtes savant, et il est naturel que vous soyez curieux de tous ces échantillons. Moi, qui ne sais rien, je n’ai pas d’excuse.

— Tu aurais besoin d’excuse pour aimer les fleurs ? Ah ! Marianne, c’est d’autant plus charmant de ta part que tu ne sais pas tous les secrets de leur beauté. Si tu les examinais attentivement…

— Oh ! pour cela, je les examine, et, sans savoir un mot de science, je pourrais vous dire leurs rapports et leurs différences. Elles sont