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ruines, des plantes et des rochers, qu’il était chargé par le gouvernement de faire la statistique du pays. Jamais le paysan du centre ne suppose qu’un particulier se livre à ces recherches pour son propre plaisir ou pour sa propre instruction. Le soleil était levé quand Pierre André se trouva dans le bois de hêtres qui garnissait le ravin au-dessus de Validat. De là, caché dans les taillis, il pouvait explorer du regard et la métairie et les chemins environnans. Il vit qu’on s’agitait beaucoup dans la métairie, probablement pour le dîner que préparait Marianne, et vers cinq heures, il vit Marianne elle-même donnant des ordres, allant et venant dans la cour. Puis on lui amena Suzon, qu’elle monta et dirigea vers l’endroit du bois où coule le ruisseau.

Pierre descendit rapidement la colline et se trouva en même temps qu’elle au petit gué. — Où vas-tu si matin ? lui dit-il d’un ton d’autorité dont elle fut surprise.

— Cela vous intéresse, mon parrain ? Je vais chercher du beurre à la ferme de Mortsang. Nous en manquons pour votre dîner, et moi je prétends que rien ne vous manque chez moi.

— Envoie quelqu’un, Marianne, et ne va pas à Mortsang ; ne va nulle part, je te prie, ne cours pas la campagne aujourd’hui. Reste chez toi à nous attendre ; demain tu sauras si tu dois interrompre ou continuer tes courses solitaires.

— Je ne comprends pas.

— Ou tu ne veux pas comprendre. Eh bien ! sache que Philippe Gaucher a quitté Dolmor au milieu de la nuit pour t’apporter un bouquet. Seulement il s’est trompé et il l’a porté à Mortsang ou ailleurs ; mais, si tu vas par là, tu risques de le rencontrer.

— Eh bien ! quand je le rencontrerais ?

— C’est comme tu voudras. Je t’ai avertie. S’il te plaît de courir après lui…

— Personne ne peut supposer que je sois si pressée de le voir.

— Il le supposera, lui !

— Il est donc fat à l’excès ?

— Je ne dis pas cela, c’est à toi de le juger ; mais il a beaucoup d’assurance, et cela, tu dois déjà le savoir.

— Oui, il a de l’assurance, mais entre l’assurance et la sottise il y a de la marge. Parlez-moi de lui, mon parrain, puisque nous voilà seuls. Je renonce à faire mes commissions moi-même aujourd’hui, du moment que vous me désapprouvez. Je vais rentrer en disant que Suzon a boité et que je ne veux pas la faire marcher aujourd’hui. Mais causons un peu, puisque nous nous rencontrons si à propos.

— Je ne te rencontre pas. Je te guettais.

— Moi ? vraiment ?