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On leur accorde sa protection, on les admet parmi ses cliens ; mais ces cliens ont des ennemis contre lesquels il faut les défendre, et le seul moyen de les défendre efficacement est de les annexer, eux et leurs ennemis. « La situation de la Russie dans l’Asie centrale, écrivait le prince Gortchakof dans une note circulaire du 3 décembre 1864, est celle de tous les états civilisés qui se trouvent en contact avec des populations errantes et à demi sauvages, sans rien de fixe dans leur organisation sociale. En pareil cas, l’intérêt de la sûreté des frontières et des relations commerciales exige que l’état le plus civilisé exerce une certaine prépondérance sur des voisins que leurs habitudes nomades et leur humeur remuante rendent fort incommodes. On a de plus des agressions et des brigandages à réprimer. Pour y mettre un terme, on se voit contraint de réduire la population frontière à une sujétion plus ou moins directe ; mais à peine a-t-elle pris des habitudes plus paisibles, elle se trouve exposée à son tour aux attaques de tribus plus éloignées. L’état est obligé de la protéger contre le pillage et de châtier les pillards. Il s’engage ainsi dans de lointaines expéditions, coûteuses et répétées, contre un ennemi que son organisation rend inattaquable. Si on se borne à châtier les pillards et qu’on se retire, la leçon est bientôt oubliée, et la retraite est attribuée à la faiblesse ; or les peuples de l’Asie en particulier ne respectent que la force visible et palpable… Les États-Unis de l’Amérique du Nord, la France en Algérie, la Hollande dans ses colonies, l’Angleterre dans l’Inde, ajoutait le chancelier de l’empire russe, ont dû suivre la même marche progressive, où l’ambition a moins de part qu’une impérieuse nécessité, et où la plus grande difficulté consiste à savoir s’arrêter à temps. » Le jour de l’année 1732 où les khans de la petite et de la grande horde des Kirghiz firent hommage de leurs personnes et de leurs états à l’impératrice Anne Ivanovna, il fut écrit au livre des destins que, cheminant devant elle d’étape en étape, la Russie en viendrait à posséder la riante vallée du Sarafchan, la résidence d’été de l’émir de Boukhara, le tombeau de Tamerlan, Samarcande et son riche territoire, cette perle ou ce paradis du Turkestan, Heureux l’émir de Boukhara s’il était écrit au livre des destins que les Russes s’arrêteront à Samarcande, et qu’après lui avoir pris sa résidence d’été, ils ne lui prendront pas aussi sa résidence d’hiver. Il n’a pas encore réussi à éclaircir ce problème, et il y a là de quoi troubler le sommeil d’un émir.

Il était fatal aussi que la Russie infligeât une leçon au khan de Khiva, et qu’après avoir promis de ne rien lui prendre, elle lui prît le plus clair de son avoir. Ceux qui douteraient de cette fatalité feront bien de lire l’intéressant et remarquable ouvrage que vient de publier un lieutenant au 1er régiment de hussards de Westphalie, M. Hugo Stumm,