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distingués à New-York pour des études spéciales ; la mécanique est cultivée avec un grand succès ; du reste il est merveilleux de voir combien chacun des communistes, qui n’aurait peut-être jamais eu les mêmes talens dans le monde, devient vite, sous l’influence d’un genre de vie particulier, ingénieux, inventif, habile en toutes choses. Les enfans des perfectionnistes abandonnent rarement la société ; depuis l’origine, un seul membre a mérité d’être expulsé.

M. Nordhoff trace le tableau d’une soirée chez ces promoteurs du libre amour. Il montre une vaste galerie où les femmes sont assises autour de nombreuses tables rondes, occupées d’ouvrages d’aiguille, d’autres dispersées par groupes ; on chante des hymnes, on lit le rapport des travaux, quelques extraits amusans des journaux qui excitent le rire ; la danse et tous les jeux sont permis, sauf les cartes. Les conversations roulent généralement sur des questions religieuses et se terminent par des professions de foi. Voici le tour habituel des hymnes d’Oneida : un homme chante en regardant sa voisine,

« Je vous aime, ô ma sœur,
Mais l’amour de Dieu est meilleur.
L’amour de Dieu vaut mieux que tout ! »

A quoi la sœur répond :

Je vous aime, ô mon frère, etc.

Puis toutes les voix répètent en chœur :

« Oui, l’amour de Dieu est meilleur,
Alléluia, alléluia !
L’amour de Dieu vaut mieux que tout. »

On voit que leur littérature n’est pas des plus élevées : elle suffit à des aspirations nécessairement assez vulgaires ; le beau est éliminé de toute organisation communiste, laquelle ne donne d’essor ni aux plus grandes passions, ni aux plus hautes facultés de la nature humaine, c’est toujours la loi des égaux : retrancher rigoureusement ce qui n’est pas communicable à tous. Aussi est-il douteux que des intelligences exquises et cultivées puissent jamais se plier à ce régime ; on cite pourtant dans le Kansas la commune de Ce-dar-Vale, où un petit noyau de Russes de distinction, des savans, des artistes, des lettrés, matérialistes pour la plupart, ayant accepté la pauvreté volontaire, est venu essayer de la vie naturelle. Il s’est joint à lui un élément tout opposé quant aux principes, mais tendant à un même but ; ce sont des spiritualistes américains, médecins, clergymen, etc. Une dame russe remarquablement jolie et aussi dévouée qu’enthousiaste a partagé cette lutte héroïque livrée au nom de la liberté.