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plantèrent des vignes, des vergers, et réussirent si merveilleusement dans la culture de la soie que les habits des dimanches furent bientôt de ce tissu pour les hommes comme pour les femmes.

Le père Rapp étant obligé de recevoir nombre d’étrangers de distinction, son peuple lui bâtit une maison plus vaste que les autres, entourée d’un beau jardin, ouvert à tous bien entendu, et où l’on put faire de la musique le dimanche. Dans ses Voyages à travers l’Amérique du Nord 1825-1826, le duc de Saxe-Weimar parle avec admiration de l’industrie et de la prospérité d’Économie et des chants délicieux d’une soixantaine de jeunes filles qui sont maintenant les vénérables sœurs rencontrées par M. Nordhoff.

Tout eût marché à souhait pour les rappistes, si en 1831 un aventurier allemand, Bernard Muller, qui se faisait appeler le comte de Léon, ne fût venu leur imposer sa présence et celle de quelques visionnaires qui l’entouraient. Ces brebis, en apparence Soumises à la règle, n’étaient au fond que des loups ravisseurs ; bientôt les plus étranges doctrines commencèrent à circuler dans la communauté, un schisme se produisit, et il fallut finalement avoir recours au vote pour reconnaître ceux qui tenaient à l’ancien ordre de choses. Ils formaient encore une importante majorité ; la société se débarrassa du comte de Léon et de ses partisans en leur payant 105,000 dollars. L’aventurier s’installa de l’autre côté de la rivière, professant aussi des principes communistes, mais-sans défendre le mariage. Il s’y prit de manière à perdre promptement l’argent donné par les harmonistes, et, après avoir échoué dans la tentative la plus illégale pour en obtenir d’autre, dut quitter le pays. Le comte de Léon mourut du choléra sur la Rivière-Rouge en 1833, la plupart de ceux qu’il avait séduits trouvèrent un refuge dans la communauté de Bethel (Missouri). — Quant aux fidèles enfans de Rapp, ils se tiennent prêts pour l’avènement du Christ. Longtemps ils pensèrent que leur fondateur ne mourrait pas avant le millénaire accompli. On a raconté que les dernières paroles du pauvre homme furent celles-ci, pleines d’une foi profonde : « je croirais mon dernier moment venu, si je ne savais que c’est la volonté du Seigneur que je vous présente tous, à lui. »

Ils comptent sur la rédemption finale de tout le genre humain, mais après des épreuves dont seront exempts ceux qui auront gardé pieusement le célibat. Leur service du dimanche, qui a lieu deux fois dans la journée, ne présente rien de particulier, sauf la séparation des sexes. Ils ont, outre les jours consacrés de Noël, du vendredi saint, de Pâques et de la Pentecôte, deux fêtes spéciales en automne, la rentrée de la moisson et la cène annuelle. Aux fêtes, ils se rassemblent pour chanter, prononcer des discours et assister à un banquet. La viande n’est pas exclue de leurs repas, au nombre