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la plume brillante du voyageur anglais avait peut-être fardé de couleurs un peu romanesques ; c’est le talent, parfois le défaut de M. Dixon de pousser la subtilité comme le génie de l’investigation à la dernière limite, de trouver aux moindres phénomènes de grandes causes. Sublimes aspirations chrétiennes, besoin généreux de secouer l’égoïsme des conventions sociales pour s’élever jusqu’à la loi divine, souci particulier des droits de la femme et du grand problème de l’égalité des sexes, fusion du principe religieux et de la vie sociale en un mot, telles étaient les bases que l’auteur de New-America prêtait à la formation des sociétés diverses qui composent aujourd’hui soixante-douze communes dispersées dans treize états et comprenant cinq mille membres environ. M. Nordhoff simplifie beaucoup cette vaste utopie ; selon lui, la charte des sociétés communistes est, dans son acception la plus stricte, ce tableau que fait saint Luc de l’église primitive : « et tous ceux qui croyaient vivaient ensemble et avaient toutes choses en commun ; ils vendaient leurs biens et les partageaient entre tous les hommes selon les besoins de chacun. »

Parmi ceux qui mettent cet exemple des premiers chrétiens en pratique, il y a sans doute des âmes saintes emportées par les motifs les plus purs vers les hauteurs du sacrifice et la pratique de vertus monastiques apparemment inconciliables avec le protestantisme ; mais le grand nombre, comme il arrive dans toutes les sociétés possibles, recherche, outre la fin spirituelle, une vie facile, un travail modéré et l’égalité des conditions. Au fond, l’on découvre, mêlé parfois à des théories esséniennes, le système des égaux qui scandalisa notre vieux monde dès le XVIIIe siècle, et qui est ressuscité depuis sous tant d’aspects, tantôt grotesques, tantôt impraticables, pour inspirer tout récemment encore des excès monstrueux ; mais ce qui dans notre vieille Europe ne pouvait produire que des violences funestes aux intérêts de la civilisation est devenu possible dans les déserts du Nouveau-Monde, où rien ne s’oppose à l’épanouissement de la vie primitive, surtout lorsqu’elle s’appuie sur l’esprit de résignation et de discipline volontaire, qui est celui du christianisme. Les communistes américains ont su transformer le péril en bienfait, l’instrument de destruction en instrument de travail : c’est autour d’une église que se sont groupés ceux que ne satisfaisait pas la civilisation actuelle, c’est à force de vertu, d’industrie, d’honnête persévérance, qu’ils ont prouvé qu’une chimère bafouée autant que redoutée pouvait devenir non pas seulement réalité, mais réalité utile et profitable. Au lieu de brandir le fer ou d’allumer le pétrole, ils ont pris pour emblème une charrue et la croix du Christ. Se multiplieront-ils rapidement ? L’expérience de près d’un siècle n’autorise pas à le supposer ; cependant leur petit