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relations naturelles, dans leurs rapports avec les espèces des périodes géologiques, dans leurs rapports avec les formes embryonnaires. Il léguera ce musée unique à la nation qui l’adopte, comme témoignage de son affection et comme monument de sa vie laborieuse[1].


III

Engagé dans d’interminables recherches, fatigué du prodigieux labeur qu’exige le classement des grandes collections d’histoire naturelle, Agassiz, malgré son admirable énergie et sa robuste constitution, sentit faiblir ses forces. Pendant l’hiver de 1864 à 1865, sa santé se trouvait gravement compromise ; on lui prescrivit d’abandonner tout travail et de changer de climat. Fera-t-il un voyage en Europe ? L’ancien professeur de Neuchatel songe à l’attrait de se retrouver au sein du mouvement scientifique dont le vieux monde est le théâtre ; mais c’est ailleurs qu’il faut aller chercher le repos de l’esprit. Une circonstance inattendue devait bientôt mettre fin aux hésitations. Agassiz gardait le souvenir du voyage de Spix et Martius au Brésil ; à vingt ans, il avait été chargé de décrire les poissons recueillis par les deux célèbres explorateurs ; maintes fois en sa vie il avait caressé le rêve d’aller aux lieux mêmes étudier la faune de l’Amérique du Sud. Ce désir venait d’être singulièrement ravivé. L’empereur du Brésil, l’un des hommes les plus instruits des temps modernes, l’ami de toutes les nobles entreprises, avait témoigné beaucoup de sympathie pour l’œuvre qui s’accomplissait au collège Harvard. Par son ordre, des collections formées avec soin avaient été adressées au musée de Cambridge. La bienveillance du souverain était connue, son patronage certain, mais le naturaliste ne pouvait se résigner à faire une simple visite aux rivages du Brésil, Un jour, devant quelques personnes, Agassiz parle avec enthousiasme de l’intérêt d’une exploration de l’Amazone et de ses tributaires, sans croire l’idée réalisable ; mais un riche personnage de Boston avait été séduit. De la façon la plus simple, M. Nathaniel Thayer vint dire au savant : « Vous voulez donner à un pareil voyage un caractère* scientifique ; emmenez des jeunes gens, je me charge de tous les frais de l’expédition. » C’était irrésistible ; Agassiz fit ses préparatifs et désigna pour l’accompagner un dessinateur, Jacques Burkhardt, toujours attaché à ses pas depuis qu’il l’avait connu à Munich, un préparateur, deux géologues, un

  1. On a commencé dès 1865 à publier le catalogue des richesses que renferme ce musée : Illustrated Catalogue of the Museum of comparative zoology at Harvard College.