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détails de ce qu’il n’a pas vu, Greville est un narrateur fidèle et très instructif, qui excelle à faire passer devant nos yeux, comme si nous y assistions, certains épisodes dont le souvenir méritait à coup sûr d’être conservé. Il raconte ainsi et presque aussi vivement qu’aurait pu le faire Saint-Simon la séance où, selon la coutume, le roi vint en personne prononcer la dissolution du parlement. Nous abrégerons d’ailleurs, afin de ne reproduire que l’action principale. Au plus fort de la discussion, Peel, qui jusqu’alors s’était tenu dans une réserve impénétrable, en était sorti pour attaquer le ministre par un de ses plus violens discours, lorsque tout à coup se fit entendre le canon, qui annonçait l’arrivée inattendue du roi.


« A chaque détonation, les ministériels répondaient par de bruyantes acclamations, et Peel parlait encore au milieu du tumulte quand l’huissier, porteur de la verge noire, frappa à la porte pour faire sommation à la chambre des communes d’avoir à se rendre à la chambre des pairs. C’est là qu’avait lieu une scène des plus tumultueuses. Ceux qui l’ont vue m’ont dit qu’elle avait ressemblé à la fameuse journée du serment du Jeu de Paume en France, avec ce caractère propre aux mauvais jours qui précèdent les révolutions… Le duc de Richmond ayant engagé les lords à reprendre indistinctement leurs places, cela mit lord Londonderry dans une telle fureur que debout, gesticulant, hurlant, il se prit à agiter le fouet qu’il tenait à la main de telle sorte que quatre ou cinq de ses collègues durent le retenir par l’habit pour l’empêcher de se livrer à des actes de violence. Lord Lyndhurst était également furieux, et ils échangèrent entre eux des mots très vifs que l’on n’entendit pas. Au milieu de tout ce bruit, lord Mansfield se leva. Le silence s’étant enfin rétabli, il prononça une sévère philippique contre le gouvernement. Débitée d’une manière imposante, avec énergie et chaleur, elle produisit grand effet. Il parlait encore quand le roi fit son entrée… George Villiers m’a dit n’avoir jamais assisté à pareil spectacle. Tandis qu’il considérait Guillaume IV sur le trône, avec sa couronne trop large pour sa tête, ayant près de lui la grande et morose figure de lord Grey, l’épée de l’état à la main, se tenant comme le bourreau à ses côtés, il avait cru entrevoir dans l’ensemble de ce tableau une image anticipée et trop exacte de nos destinées futures et de celles de la royauté. Telle a été la fin du parlement et le premier acte dû drame ministériel. »


« Reposons-nous un moment de ce maudit bill, » poursuit Greville, et nous profiterons comme lui de ce temps d’arrêt pour recueillir les traits que sa verve railleuse recherche avec tant de complaisance quand il s’agit de lord Brougham. Ici, il faudrait tout citer. On voudrait s’étendre avec lui sur le fameux banquet donné par le grand brasseur Buxton aux puissances du jour, et dont le chancelier parut faire les honneurs comme s’il était chez lui. Il y