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semblable à Tierney, et malin comme lui. Il est le frère du propriétaire des Débats et directeur lui-même de ce journal. Sébastiani est solennel et important. Le duc de Broglie est l’homme de France le plus estimé. Tous s’accordaient à dire que le ministère ne se soutiendrait pas longtemps… Talleyrand se montre l’un de ses plus vifs adversaires… Il dit qu’il est impossible de prévoir le résultat de la lutte, non-seulement pour la France, mais pour l’Europe entière, si le roi pousse les choses à l’extrême, et semble étonné que les nations étrangères, l’Angleterre surtout, ne paraissent nullement comprendre à quel point elles sont intéressées dans cette grave question. Il m’a paru terriblement vieilli, quoique plein de vigueur encore, et prenant intérêt à toutes choses. Après dîner, ces messieurs se sont mis à part pour causer avec animation. Mme de Flahault (lady Keith) est plus violente que son mari, et leur maison est le rendez-vous habituel de l’opposition libérale. La bataille doit commencer à la chambre des députés lundi prochain à propos de la discussion de l’adresse. Talleyrand prédit que ces trois semaines seront l’une des périodes les plus importantes traversées par ce pays depuis la restauration. »


L’homme d’état expérimenté avait de bonnes raisons pour appuyer sa prédiction. Déjà, avant de quitter l’Angleterre, Greville avait pu deviner dans quelle agitation il alliait trouver la France. L’année précédente, au mois d’août 1829, quand le ministère Polignac prit la direction des affaires, il écrivait à ce propos :


« En France, l’agitation des esprits est au comble. Le roi ne fait, dit-on, que pleurer. On dit encore que Polignac a la fatale obstination des martyrs, genre de courage le plus dangereux de tous… Aberdeen disait l’autre jour, chez Mme de Lieven, qu’il regardait le nouveau ministre de Charles X comme fort capable, et le duc de Wellington assurait que c’était le plus habile ministre qu’il y ait eu en France depuis 1815. »


Greville goûte les enchantemens du voyage d’Italie avec plus de vivacité qu’on ne devait s’y attendre d’après le ton ordinaire de ses mémoires. Cette liberté d’esprit qu’il applique à tout le rend peut-être moins accessible à certains préjugés de sa nation, et nous remarquons en lui une sorte de tendance à se laisser gagner par les impressions de cette atmosphère toute catholique.

Retournant en Angleterre au mois de juin 1830, Greville apprit en route la mort de George IV et l’avènement de Guillaume IV. Grande était sa curiosité, car il était permis de douter de la sagesse du souverain dont il parle en ces termes :


« Jamais élévation n’a été semblable à celle du nouveau roi. Jusqu’à présent, sa vie s’est passée dans l’isolement, dans l’obscurité, dans la pauvreté. Entouré d’une nuée de bâtards, sans amis, sans considération,