Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature humaine. » Dans ce système, l’homme est considéré comme un être poursuivant partout et toujours son intérêt privé ; mû par ce mobile, bon en lui-même, puisqu’il est le principe de sa conservation, il recherche ce qui lui est utile, et nul ne peut le discerner mieux que lui-même. Si donc il est libre d’agir comme il le veut, il arrivera à se procurer tout le bonheur auquel il lui est donné d’atteindre. Jusqu’à présent, l’état a toujours mis des entraves à la pleine expansion des forces économiques ; mais supprimez ces entraves, et, tous les hommes se portant librement à la poursuite du bien-être, l’ordre véritable s’établira dans le monde. La concurrence universelle et sans restriction fait arriver chaque individu à la place qui lui convient le mieux, et lui fait obtenir la juste rétribution de ses travaux. Comme le dit Montesquieu, « c’est la concurrence qui met un juste prix aux marchandises. » Elle est le régulateur infaillible du monde industriel. C’est comme une loi providentielle qui, dans les rapports si compliqués des hommes réunis en société, fait régner l’ordre et la justice. Que l’état s’abstienne de toute immixtion dans les transactions humaines, qu’il laisse liberté entière à la propriété, au capital, au travail, aux échanges, aux vocations, et la production de la richesse sera portée au comble, et ainsi le bien-être général deviendra aussi grand que possible. Le législateur n’a pas à s’occuper de la distribution de la richesse ; elle se fera conformément aux lois naturelles et aux libres conventions. Un mot dit au siècle dernier par Gournay résume toute la doctrine : laissez faire, laissez passer. Avec cette théorie, les problèmes se rapportant au gouvernement des sociétés se trouvaient singulièrement simplifiés. L’homme d’état n’a qu’à se croiser les bras. Le monde va de lui-même à sa fin. C’est l’optimisme de Leibniz et de Hegel transporté dans la politique. Appuyés sur cette doctrine philosophique, les économistes énoncent certains principes généraux applicables en tout temps et à tous les peuples, parce qu’ils sont d’une vérité absolue. L’économie politique était essentiellement cosmopolite. Elle ne tenait aucun compte de la division des hommes en nations séparées et des intérêts différens qui en pouvaient résulter, pas plus qu’elle ne se préoccupait des nécessités ou des conditions particulières résultant de l’histoire des différens états. Elle ne voyait que le bien de l’humanité considérée comme une seule grande famille, ainsi que le font toute science abstraite et toute religion universelle, le christianisme principalement.

Après avoir ainsi exposé la doctrine ancienne, les nouveaux économistes en font la critique. Ils l’accusent de ne voir les choses que d’un seul côté. Sans doute, disent-ils, l’homme poursuit son