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de cuisine, et n’emploie ni beurre, ni graisse : il se contente d’un rôti copieux sans aucun assaisonnement. Le but de l’éleveur est donc de produire non pas du lait, mais bien du cuir, de la graisse et de la viande, qui, salée et séchée au soleil dans les saladeros, est expédiée au Brésil et à La Havane, où elle fait la nourriture exclusive des nègres.

L’élevage des bêtes à cornes dans l’industrie pastorale constitue la grande culture. L’estancia ou terre consacrée à l’élevage est en ce cas d’une grande étendue, elle ne saurait être de moins d’une lieue carrée dans les meilleurs terrains et de 2 ou 3 lieues dans les terrains neufs ou médiocres. L’animal en effet a besoin d’espace ; respectant peu les limites du cadastre et même les clôtures, il violerait trop fréquemment la propriété d’autrui, si le terrain était restreint, les plus grands soins et une garde continue n’empêcheraient pas ces incursions. Le terrain étant vaste au contraire et suffisant pour nourrir les animaux qui le couvrent, rien n’est plus facile que de l’habituer à n’en pas sortir, à ne pas se mêler aux troupeaux voisins, à venir aux mêmes heures du jour se réunir tout entier, se reposer et, pour ainsi dire, se faire reconnaître au même endroit. Faire bonne garde, toujours surveiller son troupeau, le réunir chaque jour, connaître tous ses animaux, fussent-ils des milliers, tels sont les travaux productifs de l’estanciero, se résumant tous dans le mot rodeo. Ce travail, qui se fait, bien entendu, à cheval et emploie un nombre d’hommes proportionné à l’étendue de l’estancia, consiste à faire plusieurs fois par jour le tour du troupeau.

Dans les estancias de grande étendue, et il en existe de 15 à 20 lieues carrées, les animaux sont divisés par groupes de 2,000 ou 3,000, habitués à se réunir et à paître dans des endroits différens, n’ayant de commun que la marque que tous portent semblable. Il faut compter par lieue dans les meilleurs terrains un maximum de 3,000 têtes qui produisent chaque année une augmentation de 700 à 800 animaux, permettant au propriétaire de vendre autant de vaches grasses et de bœufs de trois à quatre ans à raison d’un prix qui varie de 50 à 80 francs par tête. On peut sur cette base calculer l’énorme revenu que produit un établissement de ce genre ; nous ne croyons pas, — et nous avons pour nous la longue expérience de ceux qui dans le pays ont consacré leur existence à cette industrie, — qu’il y en ait d’aussi sûre en même temps qu’aussi lucrative ; mais il faut pour l’entreprendre pouvoir disposer dès le début d’un capital assez considérable.

L’estanciero, éleveur de bêtes à cornes, est ordinairement un descendant d’Espagnols depuis plusieurs générations établis dans le pays, ayant entrepris cet élevage à une époque où il n’en existait pas d’autre et où le mouton n’avait pas encore conquis droit de